© 2004 Bernard SUZANNE | Dernière mise à jour le 29 mars 2013 |
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(vers la section précédente : pourquoi les philosophes gouverneront-ils ?)
[L'interlocuteur de Socrate dans cette section est toujours Glaucon, qui a pris la place d'Adimante en 506d]
[521c]
Veux-tu donc que maintenant nous examinions ceci : de quelle manière
de tels individus (2)
adviendront parmi nous, et comment on les fera monter vers la lumière
comme de l'Hadès, on dit en effet que certains sont montés vers
les dieux ?
Comment donc ne le voudrais-je pas ?! , dit-il.
Eh bien ! cela, à ce qu'il semble, pourrait bien n'être pas
le tournoiement d'une coquille (3)
mais le retournement d'une âme d'un jour nocturne vers le vrai [jour] (4),
qui est ascension vers l'étant, que nous disons en effet être la
vraie philosophie.
Bien sûr !
Il faut donc examiner quoi dans les études (5)
possède un tel [521d]
pouvoir.
Et comment non ?
Quel pourrait donc bien être, Glaucon, l'étude tractrice de
l'âme du devenant jusqu'à l'étant ? (6)
Mais je pense à ceci tout en parlant : n'avons-nous pas bel et bien
dit que ceux-ci devaient nécessairement être entraînés
à la guerre (7)
étant jeunes ?
Nous l'avons dit en effet.
Il faut donc aussi que l'étude que nous cherchons possède en outre
ce que voici, en plus de ça.
Quoi ?
Ne pas être inutile à des hommes de guerre.
Il le faut assurément, dit-il, si du moins c'est possible.
C'est bien par la gymnastique et les arts des Muses (8)
que, dans ce qui a précédé, ils ont été [521e]
éduqués par nous ?
C'était ça, dit-il.
Or la gymnastique, en quelque sorte, se concentre sur ce qui nait et meurt,
car elle veille sur la croissance et le dépérissement du corps.
Il paraît.
Ce ne serait donc pas encore l'étude que nous cherchons ?
[522a]
Eh bien non.
Mais alors les arts des Muses tels que nous les avons décrits en détail
auparavant ?
Mais ceux-ci étaient en vérité, dit-il, la contrepartie
de la gymnastique, si tu te rappelles, inculquant aux gardiens des habitudes :
en ce qui concerne l'harmonie, en leur transmettant une certaine aptitude à
bien s'accorder, et non une science et en ce qui concerne le rythme, une aptitude
à trouver le bon rythme (9) ;
et en ayant dans les discours certaines autres habitudes voisines de celles-là,
aussi bien dans ceux des discours à caractère mythique que dans
ceux qui étaient plus véridiques. Mais une étude [522b]
conduisant à quelque chose de tel que ce que tu cherches à présent,
pas une n'était en eux.
Ce sont des choses très exactes, repris-je, que tu me rappelles, car
effectivement ils n'ont rien de tel. Mais, merveilleux Glaucon (10),
qu'est-ce qui pourrait bien être tel ? Car aussi bien les techniques
artisanales (11) nous
ont toutes parues en quelque sorte besogneuses (12).
Comment non ? Et alors quelle autre étude reste-t-il encore, distincte
des arts des Muses, de la gymnastique et des techniques artisanales ?
Voyons ! repris-je, si nous n'avons plus rien à prendre dans celles-ci,
prenons l'une de celles qui couvrent tout.
Quoi ?
[522c]
Par exemple, ce [bien] commun (13)
dont se servent en plus d'autres choses toutes techniques artisanales, réflexions
et sciences (14),
et qu'il est nécessaire à tous d'étudier parmi les premiers.
Quoi ? dit-il.
Cette chose toute simple, repris-je, distinguer l'un, les deux et les trois. (15)
Or j'appelle ça en substance nombre et calcul. Et n'en va-t-il pas ainsi
à leur propos, que toute technique artisanale et [toute] science
doit nécessairement en arriver à y avoir part ? (16)
Et comment ! dit-il.
Donc, repris-je, l'art de la guerre aussi ? (17)
De toute nécessité ! dit-il.
[522d]
Alors c'est comme un général tout à fait risible, dis-je,
que dans les tragédies Palamède fait à chaque fois paraître
Agamemnon ! (18)
Ou alors, n'as-tu pas remarqué qu'il prétend, ayant découvert
le nombre, avoir fixé les positions de l'armée devant Troie et
dénombré les vaisseaux et tout le reste, comme [s'il s'agissait]
de choses qui étaient avant lui non dénombrés et [de
l'armée] d'un Agamemnon, à ce qu'il semble, ne sachant même
pas combien de pieds il avait, s'il est vrai qu'il ne savait pas compter ?
Quoi qu'il en soit, quel genre de général penses-tu que ce soit
là ?
Un pas à sa place, dit-il, à mon avis, si c'était vrai ! (19)
[522e]
Voilà donc une autre étude, repris-je, que nous poserons comme
nécessaire à l'homme de guerre : pouvoir calculer et compter.
Plus que tout en vérité, dit-il, s'il doit entendre quoi que ce
soit à la mise en position des troupes, mais plus encore s'il veut être
un homme.
Comprends-tu donc, dis-je, à propos de cette étude la même
chose que moi ?
Quoi ?
[523a]
Elle risque bien d'être de celles que nous cherchons, qui conduisent par
nature vers l'intelligence (20),
mais personne ne se sert correctement d'elle, alors qu'elle est tout à
fait apte à attirer vers la richesse des êtres. (21)
Que veux-tu dire ? dit-il.
Je vais essayer, repris-je, de te faire voir ce qu'il m'en paraît. Les
[choses] donc que, pour ma part, je distingue [les unes des autres] pour
être effectivement susceptibles de conduire là où nous disons
ou pas, en devenant examinateur avec moi, dis si tu es d'accord avec moi ou
exprime ton désaccord (22)
pour qu'aussi bien nous voyions ainsi plus clairement s'il en est comme je le
pressens. (23)
Montre, dit-il.
Eh bien, je te montre, repris-je, si tu regardes attentivement, que certaines
de nos sensations [523b]
ne sollicitent pas l'intelligence en vue d'une enquête, parce qu'adéquatement
jugées par la sensation, alors que d'autres prescrivent à toute
force qu'elle enquête, parce que la sensation ne produit rien de sain.
[Ce sont] des [choses] qui se manifestent de loin, dit-il, [que,] clairement, tu veux
parler, et de celles qui ont été peintes en dessins ombré. (24)
Tu n'es pas du tout, repris-je, tombé sur ce dont je veux parler !
Mais alors de quoi, dit-il, veux-tu parler ?
Les unes ne sollicitent pas, repris-je, pour autant qu'elles n'en arrivent pas
[523c]
à une sensation contraire en même temps ; celles par contre
qui y arrivent, je pose qu'elles sollicitent, dès lors que la sensation
ne paraît en rien plutôt ceci que le contraire, qu'on lui tombe
dessus de près ou de loin. Mais qu'ainsi ce que je dis te semble plus
clair : ceux-ci, disons-nous, seraient trois doigts, le plus petit, le
second et celui du milieu.
Tout à fait, dit-il.
Et maintenant comprends bien (25)
que j'en parle en tant que vus de près. Mais examine avec moi ceci à
leur sujet.
Quoi ?
C'est bien un doigt que chacun d'eux paraît semblablement être,
et [523d]
de ce point de vue, cela ne change rien qu'il soit vu au milieu ou à
l'extrémité, qu'il soit blanc ou noir, qu'il soit gros ou mince,
et tout ce qui est tel. Car en toutes ces [choses], il n'est pas nécessaire,
chez la plupart, que l'âme demande en plus à l'intelligence ce
que peut bien être un doigt, car en aucun cas la vue ne lui a signalé (26)
que le doigt était en même temps le contraire d'un doigt.
Certes non, bien sûr, dit-il.
Donc, repris-je, vraisemblablement ce genre [de choses]-là ne sera pour
l'intelligence ni [523e]
solliciteur ni éveilleur.
Vraisemblablement.
Mais quoi encore ? Leur grandeur et leur petitesse, est-ce que la vue les
voit adéquatement et cela ne lui fait-il aucune différence que
l'un d'entre eux soit situé au milieu ou à l'extrémité ? Et
pareillement pour la grosseur et la minceur, la mollesse et la dureté
avec le toucher ? Et les autres sens (27),
n'est-ce pas de manière déficiente qu'ils manifestent de telles
[choses] ? Mais [524a]
n'est-ce pas ainsi que fait chacun d'eux : tout d'abord, le sens chargé
du dur a nécessairement aussi été chargé du mou,
et il fait savoir à l'âme que la même [chose] est sentie à
la fois dure et molle ?
[Il en est] ainsi, dit-il.
Donc, repris-je, il est alors nécessaire, dans de tels cas, que l'âme
soit dans l'embarras (28)
sur ce que ce sens peut bien signaler comme « le dur »,
si en effet il dit que la même [chose] est aussi molle ; et avec celui
du léger et du lourd, qu'en est-il du léger et lourd, s'il signale
aussi bien le lourd comme léger que le léger comme lourd ?
[524b]
Et en effet, dit-il, ces interprétations (29)
sont vraiment insolites pour l'âme et ont besoin d'une enquête.
Vraisemblablement donc, repris-je, dans de telles situations, l'âme tente
tout d'abord, en faisant appel au raisonnement et à l'intelligence (30),
d'examiner si chacune des [choses] qui lui sont dénoncées (31)
est une ou deux.
Comment non ?
Donc pour peu que ça paraisse deux, autre et une paraît chacune
des deux ?
Oui.
Si donc une [est] chacune des deux, mais ensemble deux, elle pensera
les deux [524c]
comme bel et bien séparées, car non séparées, elle
ne conçoit évidemment pas deux, mais un.
Correct.
Et la vue a bien vu grand et petit, disons-nous, mais comme quelque chose non
pas séparé, mais confondu, n'est-ce pas ?
Oui.
Alors qu'à cause de l'évidence de tout ça, l'intelligence
a été contrainte pour sa part de voir grand et petit, non pas
confondus, mais séparés, au contraire de celle-là. (32)
Vrai.
N'est-ce donc pas par suite de quelque chose comme ça qu'il nous arrive
tout d'abord de nous demander ce que peut donc bien être le grand et le
petit ?
Mais oui, tout à fait.
Et alors ainsi, nous avons cité à comparaître (33)
l'intelligible d'une part, le visible d'autre part ! (34)
[524d]
Très juste, dit-il.
Eh bien c'est ça que tout à l'heure j'avais entrepris de dire,
qu'il y a d'une part ce qui est solliciteur de la réflexion,
d'autre part ce qui [ne l'est] pas, d'une part ce qui s'offre à
la sensation (35)
avec en même temps son contraire étant défini comme solliciteur,
d'autre part tout ce qui [ne le fait] pas, comme pas éveilleur
de l'intelligence. (36)
Eh bien je comprends maintenant, dit-il, et il me semble qu'il en est ainsi.
Mais quoi donc ? Le nombre et l'un, duquel des deux te semblent-ils être ? (37)
Je ne le conçoit pas, dit-il.
Mais d'après ce que nous avons dit auparavant, dis-je, procède
par analogie. (38)
Si d'une part en effet c'est adéquatement qu'en tant que tel est vu ou
saisi par quelque autre sensation [524e]
l'un, il ne serait pas tracteur vers la richesse des êtres (39),
comme nous l'avons dit à propos du doigt. Mais si toujours quelque contradiction
est en même temps en lui, si bien qu'il ne paraît jamais plus un
que le contraire aussi, alors il faudrait à présent celui qui
juge là-dessus et l'âme serait conduite par la nécessité,
dans ce cas, à se trouver embarrassée et à chercher, mettant
en mouvement en elle-même la réflexion intérieure (40)
et se demandant ce que peut bien être l'un lui-même, et ainsi [525a]
elle serait de celles qui conduisent et retournent (41)
vers la contemplation de l'étant (42),
l'étude qui porte sur l'un.
Mais certainement, dit-il, cela même, elle ne l'a pas qu'un peu, la vue
qui porte sur lui, car en même temps, la même chose, c'est à
la fois comme une que nous la voyons et comme une multitude sans limites.
Donc, si toutefois c'est vrai de l'un, repris-je, tout l'ensemble des nombres
subit cela même ?
Et comment non ?
Mais pour sûr, la science du calcul et celle des nombres tout entière
portent sur le nombre ? (43)
Tout à fait !
[525b]
Mais alors elle paraissent bien de celles qui conduisent vers la vérité ?
Superlativement, sans aucun doute !
Elles feraient donc partie, à ce qu'il paraît, des études
que nous cherchons, car au guerrier d'une part, du fait des arrangements de
troupes, il est nécessaire de les étudier ; au philosophe
d'autre part, du fait qu'il doit être capable d'atteindre la richesse
des êtres en échappant au devenir, ou jamais il ne naîtra
à l'art de raisonner. (44)
C'est ça, dit-il.
Mais justement, notre gardien se trouve être guerrier aussi bien que philosophe.
En quelque sorte.
Il serait alors convenable, Glaucon, de légiférer sur cette étude
et de convaincre ceux qui sont destinés à avoir part à
ce qu'il y a de plus grand dans la cité [525c]
d'aller faire un tour du côté du calcul et de se colleter avec
lui, non pas en amateurs, mais jusqu'à ce qu'ils parviennent à
la contemplation de la nature des nombres par l'intelligence elle-même,
s'exerçant non pas en vue d'achat ou de vente, comme les négociants
et les boutiquiers, mais en vue de la guerre et aussi de la facilité
du retournement de l'âme elle-même du devenir vers la vérité
et la richesse des êtres.
Tu parles, dit-il, de la plus belle manière.
Et en effet, repris-je, je comprends (45)
aussi maintenant, de ce qui est dit à propos de [525d]
l'étude du calcul, combien elle est subtile (46)
et de bien des manières utile pour ce que nous voulons, pour autant qu'on
s'y adonne en vue d'acquérir la connaissance, et non de faire ses petites
affaires. (47)
Comment donc ? dit-il.
Justement à cause de ce dont nous avons parlé à l'instant
même, qu'elle conduit avec force l'âme vers le haut et la contraint
à raisonner (48)
sur les nombres eux-mêmes, n'approuvant en aucune façon que l'on
raisonne avec elle en mettant en avant des nombres visibles ou possédant
des corps palpables. Car tu sais sans doute de ceux qui sont redoutables (49)
en ces matières que, pour peu que l'on [525e]
entreprenne de couper l'un lui-même par le raisonnement (50),
ils se moquent et n'approuvent pas, mais que, pour peu que toi, tu le mettes
en pièces, eux le multiplient, faisant bien attention qu'en aucune façon
l'un ne paraisse, non pas un, mais plusieurs parties.
C'est très vrai, dit-il, ce que tu dis.
[526a]
Qu'en penses-tu donc, Glaucon ? Si on leur demandait : « Ô
[hommes] étonnants, sur quels nombres raisonnez-vous, dans lesquels
l'un est tel que vous, vous en jugez, chaque tout égal à tout
et n'en différant pas le moins du monde, et n'ayant en lui-même
aucune partie ? » (51)
Que crois-tu qu'ils répondraient ?
Ceci, pour ma part : qu'ils parlent de ceux qu'il y a lieu seulement de
penser (52), mais
sur lesquels il n'est possible de mettre la main d'aucune autre manière.
Tu vois donc, repris-je, l'ami, qu'il y a chance que cette étude nous
soit réellement nécessaire, [526b]
puisqu'elle apparaît bien comme contraignant l'âme à se servir
de l'intelligence elle-même en vue de la vérité elle-même.
Et très certainement, dit-il, elle le fait vraiment avec beaucoup de
force.
Mais quoi ? As-tu déjà observé ceci : que ceux
qui sont par nature doués pour le calcul (53)
font des progrès rapides dans pour ainsi dire toutes les études,
et les lents, pour peu qu'ils soient éduqués et exercés en cela,
et s'ils n'en sont aidés en rien d'autre, du moins leur est-il tous donné
de devenir effectivement plus vifs qu'avant ? (54)
Il en est ainsi, dit-il.
[526c]
Et de plus, à ce que je pense, quelque chose qui donne assurément
plus de peine à apprendre et à pratiquer, on n'en trouverait pas
facilement et pas beaucoup comme ça.
Certes non, en effet !
Alors, pour toutes ces [raisons], il ne faut pas laisser de côté
cette étude, mais les meilleurs, il faut former leur nature dans celle-ci. (55)
Je suis du même avis, dit-il.
(vers la section suivante : la formation du philosophe : la géométrie, l'astronomie et l'harmonie)
(1) Pour quelques commentaires sur l'esprit dans lequel j'ai fait cette traduction, voir l'introduction aux extraits traduits de La République. (<==)
(2) C'est-à-dire de véritables philosophes aptes à accepter et à assumer la charge du gouvernement. (<==)
(3) Le texte grec traduit par « le tournoiement d'une coquille » est ostrakou peristrophè. Il y a là une allusion à un jeu décrit par le grammairien Pollux de Naucratis (Onomasticon, IX, 111) : les joueurs étaient divisés en deux camps séparés par une ligne tracée sur le sol, les « noirs », ou « nocturnes », d'un côté, désignés par le mot nux (« nuit »), et les « blancs », ou « diurnes », de l'autre, désignés par le mot hèmera (« jour »), puis on lançait une coquille ou un tesson (ostrakon) noir d'un côté et blanc de l'autre en criant « nux è hèmera (nuit ou jour) » pour déterminer, en fonction du côté sur lequel elle tombait, lequel des deux camps donnerait la chasse à l'autre. Le tournoiement de la coquille, c'est donc l'équivalent de notre tirage à pile ou face et l'idée est donc sans doute que le choix de ceux qui sont aptes à gouverner n'est pas une simple affaire de tirage au sort dans lequel il suffit de lancer une coquille et d'attendre qu'elle retombe. La suite, où il est question d'un « jour nocturne » (voir la note suivante), renforce l'allusion. Mais il n'est pas impossible que la mention de l'ostrakon soit aussi destinée à évoquer la procédure d'« ostracisme » pratiquée à Athènes et par laquelle, en écrivant un nom sur un tesson (ostrakon, d'où le nom de la procédure), chacun votait pour le politicien qu'il proposait de bannir pour dix ans de la cité. C'est donc ici aussi en retournant des tessons lors du dépouillement du vote que l'on déterminait, sinon qui gouvernerait, du moins qui serait éloigné du gouvernement pour un temps. (<==)
(4) Le grec traduit par « un jour nocturne » est nukterinès tinos hèmeras. Comme on l'a dit dans la note précédente, cette référence au jour et à la nuit prolonge la référence au jeu de la coquille, mais elle renvoie aussi à l'allégorie de la caverne qui met justement en scène ce « retournement » (periagôgè) de l'âme des ombres produites par un « jour » qui n'est en fait que la lueur d'un feu dans la « nuit » d'une caverne vers le « vrai » jour qui luit dehors et vers lequel il faut s'élever. Le mot periagôgè utilisé ici et traduit par « rotation », qui s'oppose à la perstrophè de la coquille, a été utilisé par Socrate en 518d4 et 518e4 dans l'explication de l'allégorie de la caverne, et c'est le verbe periagein dont il dérive qui était utilisé en 515c7 pour parler du prisonnier qui est contraint à « tourner le cou » (cf. note 52 à la traduction de 518c4). (<==)
(5) « Quoi dans les études » traduit le grec ti tôn mathèmatôn. Le mot grec mathèma, dont le pluriel mathèmata (ici au génitif pluriel mathèmatôn) est à la racine du mot français « mathématiques », a en grec un sens beaucoup plus large, même si dans certains contextes mathèmata (pluriel) peut signifier « les sciences mathématiques ». Ce mot est dérivé du verbe manthanein, qui signifie au sens premier « apprendre, étudier » (du point de vue de l'élève, le mathètès, et non pas du maître, le didaskalos, terme dérivé de didaskein, « enseigner »), via son aoriste mathein. Un mathèma, c'est donc tout ce qui peut s'apprendre, ou qui est appris. Ce que cherche Socrate, c'est donc quelles sortes d'études, quelles « matières » susceptibles d'être inscrites dans un programme d'enseignement, contribueront à former de vrais philosophes. (<==)
(6) « Du devenant jusqu'à l'étant » traduit le grec apo tou gignomenou epi to on, dans lequel on trouve opposés comme point de départ dont on s'éloigne (apo + génitif) et comme point vers lequel, jusqu'auquel (epi + accusatif) il faut aller, les participes présents substantivés par adjonction de l'article (tou, to) des verbes gignesthai (devenir) et einai (être). Une traduction un peu plus « littéraire » serait « de ce qui devient jusqu'à ce qui est ». Le mathèma que cherche Socrate et qui doit être psuchès holkon, « tracteur de l'âme », c'est donc bien plus le processus d'apprentissage lui-même que la « science » à laquelle il conduit, qui a déjà été identifiée comme connaissance de tou ontos, de « l'étant », de ce qui est, dans les lignes qui précèdent. Plus précisément, il s'agit d'identifier des « matières » dont l'étude, en plus de conduire à une connaissance spécifique qui est l'objet propre de la discipline considérée, stimule l'esprit pour le mettre en route et le faire progresser dans ce cheminement vers la lumière dont l'allégorie de la caverne nous a donné une description imagée et donc contribue à l'acquisition d'une « science » qui n'était pas son objet premier, mais qui s'avère au final plus importante que cet objet. (<==)
(7) « Entraînés à la guerre » traduit le grec athlètas polemou, mot à mot, « combattants de guerre ». Le mot grec athlètès, dont vient le français « athlète », a pour sens premier « lutteur » et n'est pas limité, au contraire de son décalque français, au domaine du sport. (<==)
(8) Je traduit le grec mousikè par « les arts des Muses » en référence à l'étymologie du mot, dans la mesure où ici « musique » serait par trop réducteur. Dans ce que Socrate a décrit sous l'appellation de mousikè aux livres II et III (à partir de II, 376c) en traitant de l'éducation des gardiens, il y a bien plus que la seule musique au sens qu'a ce mot pour nous aujourd'hui. (<==)
(9) Les mots grecs traduits par « une aptitude à bien s'accorder » et « une aptitude à trouver le bon rythme » sont respectivement euarmostia et euruthmia, tous deux construits par ajout du préfixe eu-, dérivé de l'adverbe eu qui signifie « bien, de bonne manière, heureusement, avec bonheur », à un substantif dérivé, pour le premier d'harmonia, pour le second de ruthmos. (<==)
(10) Le qualificatif appliqué ici par Socrate à Glaucon, que j'ai traduit par « merveilleux », est daimonie, adjectif dérivé de daimôn, qui renvoie à quelque chose qui tient le milieu entre les hommes et les dieux, quelque chose de quasi-divin. (<==)
(11) Le mot grec que je traduis par « techniques artisanales » est technai, pluriel de technè. C'est le mot qui est à la racine du français « technique », mais qui est souvent traduit par « art », en référence à l'artisanat plus qu'aux beaux-arts proprement dit, bien que ceux-ci n'en soient pas exclus. En fait, la technè, c'est tout ce qui donne à l'artisan ou à l'artiste le moyen d'exceller dans son activité spécifique, quelle qu'elle soit, chaque domaine d'activité ressortissant d'une technè différente. (<==)
(12) Ces technai sont toutes dites banausoi, que je traduis par « besogneuses » faute de mieux. L'adjectif banausos renvoie à ce qui caractérise le travail d'un ouvrier ou d'un artisan, travail essentiellement manuel et sédentaire, et, par extension, signifie « vulgaire, commun », c'est-à-dire indigne d'un homme libre, sans grand profit pour l'esprit. (<==)
(13) « Ce [bien] commun » traduit le grec touto to koinon. Koinon est le neutre de l'adjectif koinos, qui signifie « commun », et, par extension, « public ». Le sens usuel de to koinon est en fait « l'État », comme le latin « res publica », qui a donné « république », et comme on dit quelquefois en français « la chose publique » pour parler de l'État. Ce n'est peut-être pas par hasard que le Socrate de Platon utilise cette expression dans un sens plus littéral au moment où il s'intéresse aux études propres à former ceux qui devront s'occuper justement de to koinon (dans le sens de l'État, cette fois). C'est un peu de ce double sens que je tente de rendre en traduisant par « bien commun », ajoutant pour cela le mot « bien » qui n'est pas dans le grec, lequel se satisfait d'un simple adjectif précédé de l'article sans éprouver le besoin d'y adjoindre un nom. (<==)
(14) « Techniques artisanales, réflexions et sciences » traduit le grec technai kai dianoiai kai epistèmai. Technai et epistèmai employés ensemble s'opposent comme en français « sciences » (epistèmai) et « techniques » (technai), c'est-à-dire disciplines intellectuelles, études théoriques, d'une part et applications pratiques, activités « manuelles » ou concrètes, d'autre part. Le terme dianoiai qui s'intercale entre les deux, utilisé au pluriel de plus, est surprenant en ce qu'il ne fait pas vraiment nombre avec eux. La dianoia, c'est l'activité du nous, c'est-à-dire la pensée, la réflexion, l'activité intellectuelle. C'est donc une activité qui a sa place aussi bien dans les technai que dans les epistèmai, même si, dans l'activité artisanale, son rôle est plus limité. En fait, on peut voir la dianoia comme constituant la dimension spécifique de toute activité proprement humaine. Sa présence ici dans la liste entre les deux autres termes est peut-être justement destinée à mettre en relief ce qui est commun tant aux technai qu'aux epistèmai au-delà de ce qui les oppose. (<==)
(15) Le texte
grec ne dit pas « le un, le deux et le trois » mais bien
« l'un (to on) » (singulier) et « les
deux et les trois (ta duo
kai ta tria) » (pluriel), que l'on pourrait
presque traduire par « ce qui est un et les [choses qui
sont] deux et les [choses qui sont] trois ». C'est
qu'en effet, du temps de Socrate et Platon, le langage reflétait un mode
de pensée dans lequel les nombres n'étaient pas pensés
comme des abstractions mais comme des qualificatifs appliqués à
des collections concrètes de choses considérées comme un
tout (j'ai en face de moi deux chevaux, ou trois vases, ou cinq objets divers,
etc.). C'est pourquoi, même lorsqu'il substantive ces adjectif numéraux,
Platon utilise l'article au pluriel (ou parfois au duel pour deux). Et lorsqu'il
voudra parler de l'« idée » de deux, comme par
exemple en Phédon,
101c, il ne dira pas to duo, le
deux, mais hè duas, généralement traduit par « la
dyade », par transposition pure et simple du grec duas, duados
en français, faute d'un mot français qui exprime spécifiquement
l'abstraction associée au nombre deux et qui soit distinct de ce nombre
pensé concrètement (« dualité » a
en français un sens plus restreint et spécialisé qui tire
avec lui des considérations qui le disqualifient pour cet usage très
général).
On est donc bien là dans une vision minimaliste (touto to phaulon,
traduit par « cette chose toute simple ») de
l'arithmétique telle qu'elle est accessible aussi bien aux artisans qu'aux
savants, dans laquelle il ne s'agit encore que de savoir dénombrer des
ensembles concrets, pas opérer sur des nombres abstraits. Et il est important
d'en prendre conscience dans la mesure où justement Socrate cherche des
points d'appui susceptibles d'inciter à l'abstraction. L'arithmétique
dont il parle n'est pas une science travaillant d'emblée sur de pures
abstractions, mais bel et bien une étude qui prend ses racines dans la
vision concrète de collections dont on cherche à qualifier
le nombre et d'opérations concrètes de la vie de tous
les jours.
Notons encore, dans le prolongement de ces remarques, que, pour les grecs d'alors,
un n'était pas un nombre, mais le principe des nombres en ce sens que,
pour pouvoir nombrer, il fallait d'abord distinguer des unités ;
que les nombres ne se concevaient qu'entiers et que ce n'est que dans un second
temps, par l'introduction de rapports, que l'on pouvait travailler sur des nombres
fractionnaires, conçus exclusivement comme le rapport de deux entiers ;
et que c'est au temps de Platon que l'on découvrit l'existence de grandeurs
qui pouvaient être entre elles dans un rapport qui ne pouvait s'exprimer
par le rapport de deux nombres entiers, comme par exemple la diagonale d'un
carré par rapport au côté de ce même carré,
c'est-à-dire les nombres dits « irrationnels »
(dans l'exemple de la diagonale du carré, racine de deux). Et bien sûr,
pour les grecs, le zéro n'existait pas, pas plus que des nombres dits
« négatifs ». (<==)
(16) « Doit nécessairement en arriver à y avoir part » traduit le grec anagkazetai autôn metechos gignesthai. Quelques remarques à propos de ce texte. Tout d'abord, l'adjectif metochos est dérivé du verbe metechein utilisé dans la première partie du Parménide pour tenter de décrire la « participation » des eidè/ideai aux êtres du monde sensible (voir ma traduction du dialogue entre Socrate et Parménide, et la note 13 à la traduction de la première partie de ce dialogue). Ici, il s'agit de sciences et de techniques qui se voient contraintes de devenir « participantes » à une autre activité de l'esprit que celles qui est leur objet propre. L'autre chose qui mérite d'être remarquée, est l'utilisation du verbe gignesthai : Socrate ne dit pas que les sciences et techniques metechousin (participent) au nombre et au calcul, mais que la nécessité (anagkè, qui est à la racine du verbe anagkazesthai utilisé ici) les contraint à un moment ou à un autre à devenir (gignesthai) participantes (metechos) en elles. En d'autres termes, ici encore, il n'envisage pas les sciences et les techniques comme figées une fois pour toutes, mais comme résultant d'un processus d'évolution, d'un « devenir » qui, à un moment ou à un autre, les met en relation avec le nombre et le calcul. Et cela est sans doute vrai pour lui aussi bien des sciences et techniques considérées en elles-mêmes indépendamment de ceux qui les pratiquent que de ces sciences et techniques telles qu'elles se réalisent en quelqu'un qui les étudie au fur et à mesure qu'il progresse dans son étude. (<==)
(17) Socrate parle simplement de hè polemikè, sans préciser s'il classe ceci parmi les technai ou parmi les epistèmai. (<==)
(18) Eschyle, Sophocle et Euripide avaient tous trois écrit une tragédie ayant Palamède pour personnage principal (aucune des trois n'est parvenue jusqu'à nous). Dans ces tragédies, ils faisaient de Palamède, un des héros de la guerre de Troie dans le camp des Grecs, l'inventeur des nombres et de l'arithmétique. (<==)
(19) « Pas à sa place » traduit littéralement l'adjectif employé par Glaucon dans sa réponse, qui est atopon. À partir de ce sens original, atopos en vient à signifier « étrange, insolite, extravagant, absurde, insensé ». C'est un adjectif que Socrate n'hésite pas à s'appliquer à lui-même dans l'Apologie (Apologie, 31c4). (<==)
(20) Le mot grec traduit par « intelligence » est noèsin, accusatif singulier de noèsis, nom d'action dérivé du verbe noein, lui-même construit sur la racine nous, « esprit, intelligence ». C'est le mot qui a été utilisé pour la première fois dans les dialogues à la fin de l'analogie de la ligne, en République, VI, 511d8, pour désigner la plus haute des quatre « affections (pathèmata) » de l'âme. Sur ce terme, voir la note 75 à ma traduction de cette section. Si je le traduis ici par « intelligence » plutôt que par « appréhension par l'intelligence » que j'avais utilisé alors, c'est que les raisons qui m'avaient fait choisir cette traduction un peu lourde, le besoin de distinguer le noèsis de Socrate du nous de Glacon dans la réplique précédente, ne sont plus pertinentes ici. Il suffit de se rappeler qu'intelligence désigne ici l'activité du nous rendue possible par la faculté qui se nomme aussi « intelligence ». (<==)
(21) Je traduis le mot ousian utilisé ici par Socrate par « la richesse des êtres » pour des raisons qui apparaîtront à la lecture de la note 103 à ma traduction de la section concernant l'analogie du bien et du soleil à la fin du livre VI. (<==)
(22) Le texte que je traduis par « dis si tu es d'accord avec moi ou exprime ton désaccord » est beaucoup plus concis en grec : c'est sumphathi è apeipe, dans lequel on trouve deux composés de deux verbes signifiant « dire » : phanai et eipein. Sum-phanai, dont sumphathi est l'impératif, c'est au sens étymologique « dire avec (sun-) », alors qu'apeipein, dont apeipe est l'impératif, c'est « déclarer contre (apo-) ». Socrate demande à Glaucon de devenir suntheatès, c'est-à-dire « spectateur/contemplateur/examinateur avec [lui] » des « idées » (ni le mot idea, ni le mot eidos, tous deux dérivés de idein, « voir », n'est dans le texte, mais c'est bien quelque chose comme cela que suggère l'emploie du mot suntheatès qui renvoie à la contemplation et au « théâtre ») qui vont être manifestées pas ses discours et de manifester par la parole son accord ou son désaccord. (<==)
(23) Le verbe
grec que j'ai traduit par « je le pressens »
est manteuomai, dérivé de mantis, « devin,
prophète », qui a une forte connotation religieuse :
manteuesthai, c'est au sens premier « rendre des oracles,
prophétiser ». Dans la manière même dont Socrate
invite Glaucon à réfléchir sur la formation de la noèsis,
il nous glisse quelques suggestions sur la compréhension qu'il en a :
il s'agit pour nous de contempler par les yeux de l'esprit, le nous,
un « spectacle » quasi-divin de « réalités »
que l'on peut dire « transcendantes » et de tenter tant
bien que mal de les traduire dans nos paroles, par notre logos, comme
le ferait un oracle, mais en s'épaulant les uns les autres pour valider
la description qui est donnée de ce spectacle. Nous contemplons tous
le même « spectacle », mais comme il dépasse
les mots dont nous disposons pour le décrire, c'est dans la confrontation
de nos discours, le dia-logos, que nous parviendrons à améliorer
ce discours défaillant pour le rendre compréhensible par un plus
grand nombre.
Ce « théâtre » auquel nous invite Socrate
est illustré de manière beaucoup plus visuelle par le second discours
de Socrate dans le Phèdre, où il décrit la procession
des âmes à la suite des dieux jusqu'à un lieu situé
au-delà de la voûte du ciel où il est possible de contempler
les idées pures (Phèdre,
246d, sq.). (<==)
(24) « Celles qui ont été peintes en dessins ombrés » traduit le grec ta eskiagraphèmena, participe parfait passif au neutre pluriel substantivé par l'article du verbe skiagraphein, dans lequel on trouve le mot skia, « ombre », utilisé en 515a7 pour parler de ce que voient devant eux les prisonniers de la caverne. Graphein veut dire « écrire », « dessiner » ou « peindre », et skiagraphein veut donc dire « dessiner ou peindre avec des ombres », c'est-à-dire dessiner ou peindre en simulant le relief, donc « en trompe-l'œil ». (<==)
(25) « Comprends bien » traduit le grec dianoou, impératif présent du verbe dianoeisthai, construit sur la racine nous et qui renvoie à la dianoia que nous avons rencontrée en 522c2 (cf. note 14). (<==)
(26) « A signalé » traduit pour ainsi dire littéralement le grec esèmènen, aoriste du verbe sèmainein construit sur la racine sèma, « signe ». Socrate suggère ici que d'une part la vue transmet des « signes » à l'âme, et que d'autre part, c'est l'âme aussi qui sollicite le nous pour l'aider, si besoin est, à interpréter ces signes. (<==)
(27) Le mot grec utilisé par Socrate depuis 523a10, et que j'ai traduit jusqu'à présent par « sensation, est aisthèsis, qui peut aussi bien désigner les sens en tant qu'organes de perception que les sensations qu'ils éprouvent, voire par extension les perceptions de la seule intelligence. Ici, après avoir parlé de la vue et du toucher, il semble bien que ce soit des autres sens que veut parler Socrate en généralisant son propos. (<==)
(28) « Soit dans l'embarras » traduit le grec aporein. Sur ce verbe, voir la note 32 à ma traduction de l'allégorie de la caverne. (<==)
(29) Le mot grec traduit par « interprétations » est hermèneiai, dérivé de hermèneus qui signifie « interprète » (voir le français « herméneutique », qui en dérive). Glaucon suggère donc ici par son vocabulaire que les sens ne sont que des « interprètes » auprès de l'âme de phénomène qu'ils perçoivent et qui sont autres que la « traduction » qu'ils lui en donnent. Dans la réplique précédente, Socrate utilisait le verbe sèmainein à propos des sens, suggérant qu'ils produisent des « signes (sèmata) » ou encore des « signaux ». Il a même employé pour eux une fois le verbe legein lorsqu'il dit que le sens qui signale (sèmainei) qu'une chose est dure « dit que la même chose est aussi molle (to auto kai malakon legei) ». (<==)
(30) « Le raisonnement » traduit le grec logismon, le même mot qui, en 522c7 et associé à arithmon (le nombre) était traduit par « calcul ». « L'intelligence » traduit le grec noèsin. Sur ce mot, voir la note 20. (<==)
(31) « Chacune des choses qui lui sont dénoncées » traduit le grec hekasta tôn eisaggellomenôn. Eisaggelein, dont eisaggellomenôn est le participe présent passif, est un verbe dont le sens premier est « introduire en annonçant », mais qui a aussi un sens technique dans le droit athénien où il signifie « dénoncer, poursuivre quelqu'un devant le conseil ou l'assemblée du peuple par une procédure d'eisaggelia », qui est une procédure d'urgence pour des faits particulièrement graves. En 524a3, Socrate avait employé un autre verbe dérivé de aggelein, « porter un message, annoncer, faire savoir », le verbe paraggellein, verbe qui peut s'employer pour décrire l'acte d'un juge rendant un arrêt, pour parler d'un sens qui « fait savoir à l'âme que la même chose est sentie à la fois dure et molle ». Tout ce vocabulaire imagé essaye de décrire le « dialogue » entre l'âme et les sens en faisant plus d'une fois appel à des termes dont certains emplois se rencontrent dans le registre judiciaire. Ainsi, depuis 523b1, Socrate a plusieurs fois employé le verbe parakalein, « appeler auprès de soi, convoquer », que j'ai traduit par « solliciter », pour décrire l'« appel à l'aide » des sens vers l'intelligence. Or ce verbe peut s'employer pour un appel à témoin ou même la sollicitation d'un avocat, au point que le mot paraklètos qui en dérive signifie « avocat, défenseur » (« avocat » dérive d'un verbe latin, ad-vocare, qui est le décalque latin du grec para-kalein). Et cette sollicitation de l'intelligence visait à lui faire mener une episkepsin (« enquête ») (523b1), à l'inciter à episkepsasthai (« enquêter ») (523b3) lorsque les perceptions n'étaient pas adéquatement krinomena (de krinein, « juger ») (523b2) par les sens. (<==)
(32) Le texte
grec que j'ai traduit par « à cause de l'évidence
de tout ça » est dia tèn toutou saphèneian.
Presque tous les traducteurs donnent à ce dia le sens de « pour,
en vue de » : « pour débrouiller cette
confusion » (Chambry) ; « pour éclaircir
cette confusion » (Baccou) ; « pour en arriver
sur ce point à la clarté » (Dixsaut) ; « pour
élucider les choses » (Cazeaux) ; « pour
mettre cela au clair » (Piettre) ; « pour
éclaircir cela » (Pachet) ; « pour
produire cette clarification » (Leroux) ; « in
order to get clear about all this » (Grube/Reeve) ; « in
order to clear this up » (Bloom) ; « for
the clarification of this » (Shorey, le seul à tenter,
dans une note, de justifier sa traduction insolite de dia, en expliquant
que ce sens qu'il qualifie de « final » devient plus fréquent
dans le grec tardif). Seul des traducteurs dont j'ai la traduction, Robin est
gêné par cette traduction finaliste de dia et traduit :
« c'est parce qu'il tire cela au clair ». Et
de fait, dia suivi de l'accusatif (ce qui est le cas ici) signifie
« à travers, par, au moyen de, à cause de »,
mais pas « en vue de », sauf à prendre « à
cause de » dans le sens d'une cause finale. Et même avec le
génitif (l'autre cas possible après dia), on ne trouve
pas ce sens. Le Bailly ne le donne pas, et le LSJ le donne en dernier pour dia + accusatif
en citant précisément ce passage de la République
comme exemple. Mais si la traduction de Robin est plus fidèle au sens
de dia, elle le fait au prix d'une reformulation où il est question
de « tirer au clair », et qui revient à un détournement
du sens de saphèneia, qui signifie « clarté,
évidence », et non « clarification ».
Bref, Socrate semble bien parler d'une cause et non d'une fin, et d'une cause
qui est « clarté », « évidence »,
et non un processus de clarification. Pourquoi alors ne pas penser que Socrate
veut parler de l'évidence, transmise par la vue, du fait qu'un doigt
est à la fois plus grand qu'un autre et plus petit qu'un troisième ?
On comprendra mieux, dans ce cas, pourquoi Socrate, en introduisant son exemple
des doigts, a insisté sur le fait qu'il en parle « en tant
que vus de près » (523c8) :
cette « évidence » de la différence de taille
entre les doigts n'est effectivement perceptible sans hésitations que
si l'on les voit de près ! Reste à préciser de quelle
nature est cette « évidence » fournie par la vue,
car ce n'est pas elle qui « voit » « grand »
et « petit » en tant qu'« abstractions »,
distinctes l'une de l'autre et distinctes des doigts qu'elles qualifient selon
la relation dans laquelle on les compare. « Grand » et
« petit » sont en effet des mots, des logoi,
auquel nous associons un sens qui qualifie des taches de couleur que nous fait
percevoir la vue dans leur relation les unes aux autres. La vue nous fait percevoir
deux taches de couleur de taille différente distinctes du fond sur lequel
elles se détachent, mais c'est le logos qui qualifie ces taches
de « doigts » en les détachant « par
la pensée » de ce qui les entoure et utilise la différence
de taille entre les taches de couleur qu'il appelle « doigts »
pour qualifier le premier de « grand » par rapport au
second et le second de « petit » par rapport au premier
(et dans un second temps, par le même processus, ce second de « grand »
par rapport à un troisième « doigt » identifié
dans une tache encore plus petite). Le problème est que nous sommes tellement
habitués à ce travail d'analyse qui se fait en nous inconsciemment
que nous en venons à l'attribuer à la vue elle-même, sans
réaliser qu'il implique déjà un travail d'« interprétation »
par l'intelligence, de reconnaissance de « formes », que
ce soit la « forme » « doigt » ou
la « forme » « grand » (sur cette
question, on pourra se reporter à la note
34 de ma traduction de la section
du Ménon que j'ai appelée « Formes et couleurs »).
La différence que cherche à nous faire percevoir le Socrate de
Platon n'est pas dans le degré d'évidence entre le fait que telle
tache de couleur est un doigt et le fait que ce doigt soit plus grand qu'un
autre, mais entre le fait que cette tache de couleur n'est jamais autre chose
qu'un doigt, alors qu'elle peut être dite tantôt « grande »,
tantôt « petite » selon ce à quoi on la compare.
Et c'est donc bien l'évidence des résultats de comparaison entre
deux taches/doigts vus de près qui, en obligeant l'intelligence
à qualifier la même tache/doigt tantôt de « grande »,
tantôt de « petite », permet de dire que l'intelligence
est « contrainte » (ènagkasthè)
de « voir » (idein) grand et petit comme
deux choses distinctes. Distinctes l'une de l'autre, mais distinctes aussi toutes
deux des taches/doigts auxquelles on les associe au gré des comparaisons,
alors que « doigt », lui, est indissociable des taches
auxquelles on l'associe. La vue proprement dite nous transmet des informations
qui nous amènent à associer les mots « doigt »,
« grand » et « petit » à
la même tache de couleur, et c'est en ce sens que Socrate vient de dire
que « la vue a bien vu grand et petit... comme quelque chose
non pas séparé, mais confondu » (une seule tache
de couleur), mais c'est l'intelligence qui fait la différence entre le
lien entre cette tache et « doigt » d'une part, « grand »
ou « petit » d'autre part (la différence entre
ce qu'Aristote appellera « substance » et « accidents »).
Et c'est l'intelligence qui est amenée à se demander ce qui se
cache derrière les mots « grand » et « petit »,
qui conviennent à tant de choses sans être en propre à aucune.
Derrière les mots « grand » et « petit »,
ou plutôt derrière les « évidences »
que recouvrent ces mots, que nous sommes « contraints »
de « voir » (idein)... (<==)
(33) « Nous avons cité à comparaître » traduit le grec ekalesamen, du verbe kalein, dont le sens premier est « appeler », aussi bien dans le sens de « convoquer » que dans celui de « nommer », mais qui est aussi, tout comme son dérivé parakalein employé auparavant par Socrate (cf. note 31), un terme de droit signifiant « citer en justice ». Socrate continue ici à évoquer le registre judiciaire, comme il l'a déjà fait auparavant. (<==)
(34) « Intelligible » et « visible » traduisent respectivement noèton et horaton, les deux termes qui structurent l'analogie de la ligne. (<==)
(35) Le texte grec ne nomme pas ce dont il parle et qu'il classe en deux catégories. La phrase commence par un tauta, « ça », « ces [choses]-là », pronom démonstratif neutre pluriel, puis continue par un ta men paraklètika..., ta de ou..., « d'une part les solliciteurs..., d'autre part les pas... », articles au neutre pluriel utilisés, le premier avec un adjectif substantivé, le second avec une négation et le même adjectif sous-entendu, pour se finir sur un ha men..., hosa de..., « ce qui d'une part..., tout ce qui d'autre part... », pronoms relatifs toujours au neutre pluriel, sans antécédent explicite (avec une dissymétrie dans le balacement de la formule, due au hosa qui prend la place d’un ta, introduisant une idée de quantité que je rend par « tout ce qui »). Mais ce qui est certain, c'est que ce ne sont pas les sensations elles-mêmes qui sont derrière ces neutres pluriels, mais plus probablement ce qui est à leur origine, les êtres sensibles ou ce qui, venant d'eux, atteint les sens, puisque Socrate parle ici de ha men eis tèn aisthèsin... empiptei, mot à mot « ce qui vers/jusqu'à/en vue de la sensation... tombe dans/sur », que j'ai traduit par « ce qui s'offre à la sensation ». (<==)
(36) Socrate reprend dans cette phrase deux adjectifs qu'il avait utilisés en 523e1, paraklètikon, dérivé du verbe parakalein (cf. note 31) et traduit par « solliciteur », et egertikon, dérivé du verbe egeirein, « éveiller, faire lever », et traduit par « éveilleur ». Par contre il applique le premier à la dianoia, que j'ai traduit par « réflexion », comme en 522c2 où le terme était déjà employé (cf. note 14), et le second à la noèsis, que j'ai traduit par « intelligence », comme partout où ce mot est utilisé depuis 523a1 (cf. note 20). Là où, dans l'analogie de la ligne, noèsis désignait, comme je l'ai dit à la note 20, la plus haute des quatre « affections (pathèmata) » de l'âme introduites par Socrate à la fin de l'analogie en rapport avec les quatre segments qu'il venait de décrire et était mise en relation avec le second sous-segment de l'intelligible, dianoia est le terme qu'il avait retenu pour désigner le pathèma en rapport avec le premier sous-segment de l'intelligible (voir la note 75 à ma traduction de l'analogie de la ligne). Ici, le problème n'est pas de distinguer ces deux niveaux, mais de montrer comment éveiller l'intelligence à partir des sensations. Mais cet éveil ne peut faire l'économie des étapes intermédiaires que représentent les quatre pathèmata de l'analogie de la ligne illustrés par l'allégorie de la caverne : ce n'est qu'en sollicitant la dianoia (« réflexion ») que l'on aura une chance de finir par éveiller la noèsis (« intelligence »), comme l'illustre l'ordonnancement de la phrase et comme le suggère le préfixe dia- (« à travers, au moyen de ») de dia-noia. (<==)
(37) Il faut se souvenir ici que, pour les grecs du temps de Socrate et de Platon, un n'était pas considéré comme un nombre, mais comme le principe des nombres, les nombres étant par ailleurs d'abord et avant tout des entiers positifs, entre lesquels pouvaient néanmoins s'établir des rapports conduisant aux fractions. Un était principe des nombres en ce sens que, pour que l'on puisse nombrer (en nombres entiers) quoi que ce soit, une « collection » donc, il fallait d'abord qu'existent de multiples « unités » susceptibles d'être distinguées et individualisées pour donner lieu à un compte.(<==)
(38) Le verbe grec que je traduis par « procède par analogie » est analogizou, impératif présent du verbe analogizesthai, dérivé de analogos, qui est à la racine du français « analogie ». (<==)
(39) Socrate reprend ici une expression voisine de celle qu'il avait utilisée en 523a2-3, lorsqu'il parlait d'une étude helktikôi onti pros ousian, « qui soit apte à attirer vers la richesse des êtres ». Ici, dans l'hypothèse envisagée, l'un ne serait pas holkon epi tèn ousian, « tracteur vers la richesse des êtres ». Helktikon et holkon sont deux adjectifs dérivés du même verbe helkein, qui signifie « tirer », le premier désignant ce qui est apte à tirer, le second ce qui tire effectivement. Et dans les deux cas, la « traction » a pour destination l'ousian (sur ce mot et sa traduction, cf. la note 21). Au début de notre section, Socrate voulait se mettre en quête d'une étude (mathèma) qui soit psuchès holkon apo tou gignomenou epi to on, « tractrice de l'âme du devenant jusqu'à l'étant » (521d3-4). On est toujours dans le même registre. (<==)
(40) C'est encore un nouveau terme, ennoia, qu'utilise ici Socrate pour parler de ce qui doit être mis en mouvement dans le cas qu'il envisage. Ennoia est encore un dérivé de nous/noein construit avec le préfixe en-, « dans », que je rends en parlant de « réflexion intérieure ». Il y a en grec redondance entre le en de en heautèi, « en elle-même » qui qualifie le kinousa, « mettant en mouvement », et le en- de ennoian qui désigne ce qui doit être mis en mouvement. L'insistance est bien sur le caractère intérieur de cette réflexion. (<==)
(41) On retrouve ici des verbes qui évoquent l'allégorie de la caverne, dans laquelle le prisonnier devait tourner la tête et marcher vers l'extérieur de la caverne et le haut de la colline. Le verbe metastrephein (« retourner ») utilisé ici avait déjà été utilisé par Socrate dans son commentaire de l'allégorie (en 518d5) pour décrire le processus d'éducation.(<==)
(42) « La contemplation de l'étant » traduit le grec tèn tou ontos thean. Le mot thea désigne l'acte de voir, de regarder, de contempler, ou encore ce que l'on regarde, le spectacle, ce qui explique qu'il soit à la racine du mot theatron (« théâtre ») qui désigne, lui, le lieu où l'on contemple le spectacle. Mais c'est aussi un homonyme de thea, « déesse », féminin de theos, « dieu », bien qu'il ne semble y avoir aucune parenté étymologique entre les deux mots. (<==)
(43) Socrate parle ici de logistikè te kai arithmètikè. La logistikè, c'est la science du logizesthai, c'est-à-dire du calcul. l'arithmètikè, quant à elle, n'est qu'une partie de ce que nous appelons aujourd'hui arithmétique, la partie qui s'intéresse au nombre (arithmos) en tant que tel, d'où son nom. Il y a donc une sorte d'évidence à dire en grec que l'arithmètikè porte sur l'arithmos qui serait perdue en français si l'on disait que l'arithmétique porte sur le nombre, mais qu'on retrouve en traduisant, comme je le fais, arithmètikè par « science des nombres », qui est de plus une meilleure approximation de ce qu'était exactement l'arithmètikè grecque. (<==)
(44) Socrate joue ici du double sens de logizesthai (calculer ou raisonner) et logistikè/logistikon (hè logistikè, la science du calcul, ou to logistikon, la faculté de raisonner), en déclarant que le philosophe doit étudier hè logisitikè (le mot se trouve en 525a9 et est impliqué par « les études » dont on parle maintenant et auxquelles renvoie le tauta de 525b4) pour pouvoir naître au logistikôi. Mais en même temps, il cultive le paradoxe en déclarant qu'il doit « échapper au devenir (geneseôs exanadunti) » pour « naître à l'art de raisonner (logistikôi genesthai) » : c'est en effet par une naissance, un devenir, un genesthai, que le philosophe pourra échapper au devenir, à la geneseôs !... C'est donc au moment même où il vante dans ses paroles le mérite de réflexions qui partent du fait que deux termes distincts et contraires peuvent qualifier en même temps la même chose, qu'il suscite notre réflexion en employant à des moments différents des mots identiques ou apparentés pour désigner des réalités distinctes... (<==)
(45) Le verbe que j'ai traduit par « je comprends » est ennoô, dont le sens premier est « j'ai dans l'esprit ». Socrate laisse entendre ici qu'au fur et à mesure qu'il parle de l'étude des sciences relatives aux nombres, certaines choses deviennent plus claires dans son esprit. (<==)
(46) L'adjectif grec traduit par « subtile » est kompson, dont le sens est pour le moins ambigu et pas nécessairement toujours flatteur. Kompsos signifie en effet « élégant, joli, chic, spirituel » ou encore « subtil », mais souvent en mauvaise part ou avec une nuance d'ironie. C'est un adjectif qui peut servir à qualifier les propos des sophistes, adeptes justement de subtilités qui ne vont pas nécessairement dans le sens d'une meilleure compréhension et d'un progrès vers la vérité. (<==)
(47) Socrate
oppose ici deux finalités qui peuvent expliquer l'intérêt
que prend quelqu'un à l'étude des nombres et du calcul, qu'il
traduit par deux verbes à l'infinitif substantivé : ce peut
être envue du gnôrizein ou en vue du kapèleuein.
Le verbe kapèleuein renvoie à kapèlos,
utilisé dans la réplique précédente de Socrate à
côté d'emporos pour parler des « négociants
(emporous) » et des « boutiquiers (kapèlous) »,
bref des commerçants de toutes sortes, en gros ou en détail. Emporos
désigne en effet le commerçant grossiste, étymologiquement,
celui qui voyage pour faire du commerce, alors que kapèlos désigne
le détaillant, et, par extension et en mauvaise part, le « trafiquant ».
Dans les définitions que donne l'étranger d'Élée
du sophiste au début du Sophiste, trois d'entre elles font du
sophiste soit un emporos (définition 2), soit un kapèlos
(définitions 3 et 4), trafiquant de denrées destinées à
l'âme. On peut donc penser qu'il y a là une pointe contre les sophistes
qui sont peut-être capables de saisir les subtilités de l'arithmétique
(voir note précédente), mais qui s'y intéressent plus pour
pouvoir comptabiliser leurs profits que pour les progrès dans la connaissance
que cela procure.
Car c'est bien cet autre finalité, le gnôrizein, qui intéresse
surtout Socrate. On notera à ce propos que Socrate emploie le verbe sans
complément. Il s'agit bien de progresser dans la connaissance, mais il
ne précise pas de quoi. Et tout dans ce qui est dit ici laisse entendre
que le calcul et la science des nombres ne sont pas une fin en soi, mais bien
un moyen vers autre chose, la connaissance de l'ousias, de « la
richesse des êtres ». Et ici encore, si l'on garde présent
à l'esprit le double sens d'ousia, que j'ai cherché à
rendre perceptible par ma traduction par « richesse des êtres »,
on peut voir dans le choix de l'utilisation du calcul dans le commerce pour
l'opposer à la connaissance, le souci d'opposer deux formes de « richesse
(ousia) », la richesse matérielle à laquelle
conduit le commerce et en particulier le « trafic » de
connaissances que pratiquent les sophistes, et la « richesse »
de l'âme que constitue la connaissance des « idées »
qui décrivent la richesse des êtres. (<==)
(48) Le verbe que je traduis par « raisonner » est le verbe dialegesthai. Il faut comprendre ce verbe dans un sens plus large que simplement « dialoguer », qui n'en est que le décalque français, en se souvenant que Socrate dans le Théétète et l'étranger dans le Sophiste définissent la pensée comme un dialogue intérieur de l'âme avec elle-même (cf. Théétète, 189e4-190a6, où Socrate utilise le verbe dialegesthai pour définir le dianoeisthai, et Sophiste, 263e3-264b5, où l'étranger utilise le terme dialogos pour définir la dianoia), et aussi que l'un des sens de logos, terme dérivé de legein (le verbe dont dialegesthai dérive par adjonction du préfixe dia-), est « raison ». (<==)
(49) L'adjectif traduit par « redoutables » est deinous, accusatif pluriel de deinos, dont le sens premier est « qui inspire la crainte », en particulier dans un contexte religieux, ou encore « terrible, effrayant », d'où « étonnant, extraordinaire » et de là « fort, puissant » et une utilisation pour qualifier une personne particulièrement douée, exceptionnellement habile. (<==)
(50) « Par le raisonnement » traduit le grec tôi logôi. La traduction de logos par « raisonnement » est en ligne avec ma traduction de dialegesthai par « raisonner ». (<==)
(51) La phrase
que j'ai traduite par « sur quels nombres raisonnez-vous, dans
lesquels l'un est tel que vous, vous en jugez, chaque tout égal à
tout et n'en différant pas le moins du monde, et n'ayant en lui-même
aucune partie ? » mérite qu'on s'y arrête,
car elle est pour le moins ambiguë en grec, et peut-être d'une ambiguïté
voulue par Platon. Le grec est : « peri poiôn arithmôn
dialegesthe en hois to hen hoion humeis axioute estin, ison te hekaston pan
panti kai oude smikron diapheron, morion te echon en heautôi ouden ; ».
La première partie de la phrase, jusqu'à estin, ne pose
pas de problèmes particuliers. C'est avec la suite que les choses se
compliquent, la question étant de savoir à quoi se rapporte la
seconde partie, et plus précisément à quoi renvoie le hekaston
(« chacun ») : renvoie-t-il à to hen,
l'un dont il vient d'être question, ou à tôn arithmôn
dont il a été question au début ?
S'il n'est pas douteux que les propriétés énoncées
dans la seconde partie de la phrase sont bien des propriétés de
l'un selon les interlocuteurs imaginés ici par Socrate et à qui
s'adresse la question (« l'un tel que vous, vous en jugez »),
à savoir, toujours identique (ison) en toute chose une, ne différant
pas (ou diapheron), en tant qu'un, d'une chose une à l'autre,
sans parties (morion echon ouden), reste à savoir à quoi
ces propriétés de l'un s'applique, qui existerait en multiples
instances pour qu'on puisse parler de hekaston (chacun d'entre eux).
La première option, qui semble être celle qu'ont retenu tous les
traducteurs (ceux du moins que j'ai consultés), est qu'il s'agit des
unités qui composent les différents nombres : ainsi Chambry :
« De quels nombres disputez-vous, et où se trouvent ces
unités telles que vous prétendez qu'elles sont, chacune parfaitement
égale à l'autre, sans la moindre différence et qui ne contiennent
point en elles de parties ? » ; Baccou : « De
quels nombres parlez-vous ? Où sont ces unités, telles que
vous les supposez, toutes égales entre elles, sans la moindre différence,
et qui ne sont pas formées de parties ? » ;
Robin : « Quelle est cette sorte de nombres que concerne
votre discours, et dans lesquels réside l'unité avec la nature
que vous autres, vous lui attribuez, avec cette égalité de chacune
à chacune sans la plus petite différence, avec cette totale absence
de parties en elle-même ? » ; Cazeaux :
« De quelle espèce de nombres discutez-vous, et où
se trouve cette unité, telle que vous la soutenez : elle est toujours
égale, autonome ; elle forme un véritable tout, sans aucune
variation ; elle n'admet aucun morcellement ? » ;
Dixsaut : « Quels sont donc ces nombres qui sont l'objet
de votre discours, qui comprennent en eux l'unité telle que vous la pensez,
chaque unité étant parfaitement égale à n'importe
quelle autre sans la plus petite différence et sans compter en elle aucune
partie ? » ; Karsenti/Prélorentzos : « De
quels nombres discutez-vous, qui contiennent l'unité telle que vous la
souhaitez, c'est-à-dire chacune parfaitement égale à l'autre,
sans la moindre différence, et ne contenant en elle aucune partie ? » ;
Piettre : « De quels nombres parlez-vous ? Où
sont ces unités dont vous affirmez l'existence, parfaitement égales
entre elles, sans la moindre différence, et qui ne sont point composées
de parties ? » ; Pachet : « Quels
sont ces nombres dont vous vous entretenez, dans lesquels l'unité est
telle que selon vos axiomes, à savoir à chaque fois chacune égale
à toute autre, sans la moindre différence, et ne comportant pas
de parties en elle-même ? » ; Leroux :
« De quels nombres discutez-vous ? Selon votre jugement,
l'unité dans ces nombres est telle que chaque unité est chaque
fois égale à toute autre et qu'elle ne présente pas la
moindre différence, ne possédant en elle-même aucune partie ? » ;
Jowett : « What are these wonderful numbers about which
you are reasoning, in which, as you say, there is a unity such as you demand,
and each unit is equal, invariable, indivisible ? » ;
Shorey : « What numbers are these you are talking about,
in which the one is such as you postulate, each unity equal to every other without
the slightest difference and admitting no division into parts ? » ;
Bloom : « What sort of numbers are you discussing, in which
the one is as your axiom claims it to be—each one equal to every other
one, without the slightest difference between them, and containing no parts
within itself ? » ; Grube/Reeve : « What
kind of numbers are you talking about, in which the one is as you assume it
to be, each one equal to every other one, without the least difference and containing
no internal parts ? ».
Cette compréhension a pour elle le en hois, « dans
lesquels », qui laisse entendre effectivement qu'on parle d'un « un »
qui serait dans les nombres. Mais le problème est qu'on ne voit pas vraiment
quel problème il y a à supposer que toutes les unités qui
constituent un nombre sont identiques les unes aux autres et sans parties !...
La seule manière d'y voir un problème est, à la lumière
de la réplique précédente de Socrate où il met déjà
en scène ses interlocuteurs supposés en leur faisant critiquer
ceux qui parlent nombres « en mettant en avant des nombres visibles
ou possédant des corps palpables », de supposer que celui
qui est censé poser la question a une représentation encore très
« matérielle » des nombres, celle justement que
donne la sensation brute, qui ne voit pas des nombres, mais des collections
de taches colorées similaires mais distinctes, et qu'il ne peut pas appréhender
un nombre, disons trois, sans que ce soient trois quelque chose : trois
personnes, trois arbres, trois vaches, etc., auquel cas les « unités »
qui « composent » un tel « nombre »
sont bien différentes les unes des autres et, pourquoi pas, elles-mêmes
constituées de parties : chaque personne est une personne différente,
plus ou moins grande que chaque autre, composée d'une tête, de
bras, de jambes, etc. Même chose en ce qui concerne les arbres, ou les
vaches. Il s'agirait donc là du passage à l'abstraction que représentent
les nombres d'une part pris en tant que tels, indépendamment de ce dont
ils sont le nombre, et l'unité d'autre part, qui en est le principe, dépouillée
de toute propriété autre que le fait d'être « un ».
Mais si certains éléments du grec original militent en faveur
de cette interprétation, d'autres posent problème dans cette lecture.
Tout d'abord, Socrate ne fait parler son questionneur supposé que de
l'un au singulier, même s'il le suppose « dans »
les nombres, et il ne dit nulle part explicitement dans sa question qu'il y
aurait plusieurs « uns/unités » dans ces nombres.
Mais surtout, il y a le hekaston pan : hekastos signifie
« chaque, chacun » et implique, comme le fait remarquer
Parménide en Parménide,
158a, une « unité (hen) » choisie
et individualisée parmi une multiplicité ; pan,
quant à lui, est plus complexe, car, s'il évoque le « tout »,
la « totalité » (son sens premier), son sens varie
selon qu'il est au singulier ou au pluriel, avec ou sans article, adjectif ou
pronom. Au singulier en effet, il peut aussi vouloir dire « chaque »,
la différence avec hekaston étant qu'on insiste sur la
totalité dont on considère « chaque » élément
et sur le fait qu'on les envisage « tous » un à
un . Mais dans le cas qui nous concerne, la question reste de savoir, d'une
part pourquoi Socrate aurait redoublé son « chaque »
en juxtaposant hekaston et pan, si, comme le pensent implicitement
tous les traducteurs cités, ison hekaston pan panti signifie
« chacune [sous-entendu : unité] égale
à toute autre » ou quelque chose d'équivalent,
et d'autre part surtout à quelle totalité le pan pourrait
bien renvoyer s'il concerne à chaque fois (hekaston) une (et
une seule) « unité ».
Reste donc une autre interprétation possible, qui consiste à supposer
que le hekaston renvoie aux nombres dont il a d'abord été
question et que le problème posé est que chacun (hekaston)
de ces nombres considéré comme un tout (pan) constitue
bel et bien une « unité », cette unité qu'implique
selon Parménide le hekaston, qu'il est un
nombre, et qu'alors, si l'on applique à ce tout un que constitue chaque
nombre, à cet « un » qui est « en (en) »
chacun d'eux, les propriétés supposées de l'un, les choses
se compliquent singulièrement ! Car maintenant, cinq en tant qu'un
nombre est égal à trois en tant qu'il est un
nombre lui aussi, et en fait à tout (panti) nombre en tant qu'il
est un nombre ; en tant que l'« unité »
que constitue ce « tout (pan) », aucun de ces
nombre ne diffère d'aucun autre et aucun n'a en lui de parties. Bref,
ison hekaston pan panti, « chaque tout [est] égal
à tout » autre tout qui constitue lui aussi un nombre,
quel qu'il soit. Et les sophistes peuvent effectivement s'en donner à
cœur joie à développer les contradictions qui pourraient
en résulter...
Cette lecture peut se recommander de la seconde partie de la réplique
précédente de Socrate, où les objections supposées
des interlocuteurs imaginés par lui ne portent plus sur la matérialité
des nombres, mais justement sur les propriétés qu'on leur fait
maintenant prêter à l'un : insécable, sans parties,
et donc toujours identique à lui-même. Et de plus, elle met bien
en évidence que l'un et les nombres sont bien de ces choses « solliciteuses
de la réflexion (paraklètika tès dianoias) »
(524d3) à propos desquelles la sensation perçoit
en même temps les contraires, puisqu'elle montre chaque nombre à
la fois multiple et un, et l'un en retour tel « qu'il ne paraît
jamais plus un que le contraire aussi (mèden mallon hen è
kai tounantion) » (524e3).
Reste à se demander si le caractère elliptique des formulations
retenues par Socrate, et derrière lui par Platon qui écrit le
dialogue, n'est pas délibéré, pour évoquer en raccourci
par cette simple question tout le questionnement qui pourrait être celui
de la sensation à l'intelligence à propos des nombres, de l'un
et du multiple, et inciter justement chacun des lecteurs à creuser lui-même
la question en le prenant là où il en est dans sa réflexion
sur les nombres, qu'il ait encore du mal à les penser comme des abstractions
ou qu'ayant franchi ce pas, il en arrive à de plus redoutables questions
encore sur les relations entre ces abstractions elles-mêmes... En restant
dans ma traduction au plus près du texte grec de Platon au risque de
paraître obscur, je pense ne faire que ce qu'a fait Platon lui-même
pour piquer la curiosité de ceux de ses lecteurs qui acceptent de se
laisser interpeler par un texte qui ne paraît pas clair à première
lecture, même en grec. (<==)
(52) Dans la réponse que Glaucon prête aux interlocuteurs imaginés par Socrate, la seule activité possible sur les nombres dont ils parlent est décrite par un simple verbe : ces nombres, il y a lieu seulement de les dianoèthènai (de les penser, infinitif aoriste du verbe dianoeisthai). Cette réplique de Glaucon renvoie à 510d5-511a1 dans l'analogie de la ligne, où Socrate parle de « ceux qui s'occupent de géométrie et de calcul » (510c2-3) qui « se font leurs raisonnements (tous logous poiountai) » sur les figures visibles qu'ils tracent « en réfléchissant (dianooumenoi) », non sur ces figures, mais sur ce dont elles sont des images, le carré lui-même (tou tetragônou autou), la diagonale elle-même (diametrou autès), etc., cherchant « à voir cela même qu'on ne peut pas voir autrement que par la réflexion (auta ekeina idein ha ouk an allôs idoi tis è tèi dianoiai) » (« cela », neutre pluriel en grec, renvoyant à des eidè (« apparences ») autres que les « apparences visibles (horômenois eidesi) » dont il est question au début de la réplique, c'est-à-dire les figures qu'ils tracent (voir sur cette réplique les notes 34 à 43 de ma traduction de l'analogie de la ligne). Dire que ces nombre ne peuvent qu'être pensés (dianoèthènai), c'est la même chose à propos de l'arithmétique que dire, à propos de la géométrie, que le carré en soi ne peut être vu que par la dianoiai, puisque dianoia est le nom d'action associé au verbe dianoeisthai. (<==)
(53) « Ceux qui sont par nature doués pour le calcul » traduit le grec hoi phusei logistikoi. L'adjectif logistikos est dérivé du verbe logizesthai, qui, rappelons-le, signifie calculer à la fois dans le sens proprement mathématique et dans le sens figuré qui n'implique plus nécessairement les nombres et qui est presque synonyme de raisonner. Mais si, en français, « calculer » se comprend encore dans les deux sens, dire de quelqu'un qu'il est « calculateur », surtout si l'on ajoute « par nature », ne rend pas la multiplicité de sens que peut avoir en grec logistikos, car l'adjectif ainsi employé évoque presque exclusivement, et en mauvaise part, quelqu'un qui n'agit qu'après avoir examiné froidement les avantages et les inconvénients des différentes options qui s'offrent à lui pour choisir l'option qui maximisera son profit. Ceci dit, s'il est clair que, dans le contexte de notre discussion, c'est bien les dispositions pour les mathématiques qui sont supposées ici, on peut penser que l'idée que ce don pour les mathématiques traduit un don plus général pour presque tous les autres domaines d'étude a pu venir plus facilement à l'esprit d'un grec du fait de la multiplicité des sens de logizesthai. (<==)
(54) Pour dire de ceux qui sont phusei (« par nature, naturellement ») doués pour le calcul qu'il « font des progrès », Socrate utilise le verbe phuontai, de phuein, dont le sens premier est « pousser, croître », et dont dérive le mot phusis, généralement traduit de manière réductrice par « nature », traduisant ainsi la continuité qui existe dans la phusis entre ce qui est donné au départ et ce qu'en fait l'éducation. Pour les autres par contre, il emploie le verbe epididoasin, de epididonai, dont le sens originel est « donner en plus », que j'ai traduit par « il leur est donné ». Ce qui leur est ainsi « donné en plus », c'est en quelque sorte le sous-produit d'une formation dont ils n'avaient pas la capacité de profiter pleinement, mais qui a néanmoins ajouté quelque chose à leur phusis en dégourdissant leur esprit. Cet exemple montre à quel point Platon soigne jusque dans les moindres détails le choix de son vocabulaire, même s'il n'est pas adepte d'un vocabulaire « technique » trop spécialisé et restrictif par rapport à l'usage. (<==)
(55) « Les meilleurs, il faut former leur nature dans celle-ci » traduit le grec hoi aristoi tas phuseis paideuteoi en autôi. Paideuteoi est le nominatif pluriel masculin (renvoyant à hoi aristoi, les meilleurs) de paideuteos, adjectif verbal en -teos (indiquant l'obligation) de paideuein, « éduquer, former ». Et ce qu'il s'agit de former, d'éduquer, ce sont des phuseis, désignées par un terme, phusis (dont phuseis est l'accusatif pluriel) dont on a vu toute la complexité dès les discussions sur l'identité de phusis entre hommes et femmes qui constituent la première « vague » d'objections combattue par Socrate (voir ma traduction ce cette section sous le titre « Première vague : phusis - La femme est-elle un homme comme un autre ? » et les notes sur cette section, en particulier les notes 36, principalement les deux derniers paragraphes, 42, 52 et 60). La phusis, comme on l'a vu alors, c'est à la fois ce qui est donné à la naissance, l'inné, le patrimoine génétique, dirait-on aujourd'hui, et ce qu'on fait de ce potentiel par la croissance et l'éducation, ou plus précisément, c'est le résultat de tout cet ensemble au terme du développement qui conduit à la maturité. Et comme personne n'est en mesure de détecter les meilleures natures dès le berceau, ou, dans notre vocabulaire moderne, de lire dans les chromosomes dès la naissance, ce ne peut être que dans le cours de la formation elle-même qu’on prend progressivement conscience des capacités de chacun. Il n'est donc pas question de présélectionner celles et ceux qui pourront briller dans les cours d'arithmétiques pour n'y inscrire que ceux-là, mais bien plutôt de faire participer tout le monde au moins aux premiers stades de cette formation pour détecter par ce moyen ceux qui sont plus ouverts à l'abstraction et pourront donc aller plus loin dans ces études. Et c'est pour cela que le Socrate de Platon prend la peine d'insister sur l'usage pratique de l'arithmétique (cf. 522c1-e4) au moment d'en faire la première étape de son programme de formation des philosophes : c'est en effet en voyant comment les jeunes gardiens réagiront à cette étude que l'on pourra détecter ceux qui ont une capacité à l'abstraction et pourront aller plus loin dans cette direction pendant que les autres ne garderont de cet enseignement que ce qui est utile dans tous les domaines de la vie pratique : savoir compter. Et c'est peut-être pour cela que Socrate dit : « il faut former leur nature dans celle-ci [l'étude du calcul] » en utilisant la préposition en (« dans »), que l'on pourrait sans doute traduire par un simple « à » (« former à cette discipline »), mais qu'on peut aussi comprendre comme suggérant que c'est en plongeant les élèves « dans » le bain du calcul que l'on va nourrir les dons plus ou moins grands de chacun et permettre leur développement plus ou moins poussé, de manière à pouvoir repérer ceux qui vont plus loin que les autres et à commencer le processus de sélection des « meilleurs » pour la fonction pour laquelle on veut les former : philosophes destinés à être aussi dirigeants. (<==)