© 2001 Bernard SUZANNE Dernière mise à jour le 1er mai 2001
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La république
(4ème tétralogie : L'âme - 2ème dialogue de la trilogie)

L'allégorie de la caverne
2. Le commentaire de Socrate
République, VII, 517a8-519c7
(Traduction (1) Bernard SUZANNE, © 2001)

[517a] Ainsi donc, cette image (2), repris-je, ami Glaucon,[517b] il faut l'appliquer en totalité a ce qui a été dit auparavant, assimilant d'une part la place rendue manifeste par la vue à l'habitation de la prison (3), d'autre part la lumière du feu en elle (4) à la puissance du soleil ; la montée en haut d'autre part, et la contemplation des choses d'en haut, en la regardant comme la route ascendante (5) de l'âme (6) vers le domaine intelligible (7), tu ne te tromperas certes pas sur mon espérance (8), puisque tu désires entendre parler d'elle.

(Traduction en cours)

(1) Pour quelques commentaires sur l'esprit dans lequel j'ai fait cette traduction, voir l'introduction aux extraits traduits de La République. (<==)

(2) "Cette image" traduit le grec tautèn tèn eicona. Le mot eikôn utilisé ici (qui a donné en français le mot "icône") vient du verbe eikenai, qui signifie "être semblable", et aussi "avoir l'air, sembler, paraître" ou encore "paraître bon, convenir" (le participe eikôs peut aussi bien vouloir dire "convenable" que "vraisemblable"). Le mot eikôn peut aussi bien désigner une image peinte qu'une statue, une image dans un miroir, un fantôme ou une image dans l'esprit. (<==)

(3) "Assimilant la place rendue manifeste par la vue à l'habitation de la prison" traduit le grec tèn di' opseôs phainomenèn hedran tèi tou desmôtèriou oikèsei aphomoiounta. Remarquons pour commencer que Socrate va ici du monde réel ("la place rendue manifeste par la vue") à sa représentation dans l'allégorie, alors que, dans la seconde partie de la phrase, il va de l'image (le feu) à l'original (le soleil). Remarquons encore qu'il ne parle pas de "caverne", mot qui n'apparaît pas du tout dans toute cette "explication", mais de desmôtèrion, mot qui apparait dans l'allégorie en 515b7, dans la bouche de Glaucon, après qu'il ait été d'abord question de desmois ("liens, chaînes", 514a5) et de desmôtas ("prisonniers", 515a4). Mais ce que l'on "assimile", ce n'est pas directement notre monde à la caverne, ou à la prison, mais quelque chose qui est qualifié d'hedran à autre chose qui est qualifié d'oikèsei. Voyons donc de plus près ce que signifient ces deux mots au sens voisin, mais qui véhiculent des images différentes.
Hedra, au sens premier, désigne tout ce sur quoi on peut s'asseoir, et suggère l'immobilité, la stabilité. Par extension, il en vient à désigner l'endroit où l'on réside, c'est-à-dire la résidence, la demeure, ou encore la partie du corps sur laquelle on s'assied, ou même le fait de s'asseoir, et de là l'inaction. Or le mot est utilisé ici pour qualifier ce qui nous est "rendu manifeste par la vue (di' opseôs phainomenèn)", expression dans laquelle on retrouve le participe présent passif du verbe phainein ("faire paraître, faire voir, rendre visible"), phainomenos (à l'accusatif féminin singulier phainomenèn pour d'accorder aved hedran), dont vient le français "phénomène". Le premier terme de comparaison, celui qui évoque notre "monde", ce n'est pas ce monde lui-même, mais l'image de stabilité que nous en donne notre vue (opsis). Quant au second terme, ce n'est pas la caverne, même rebaptisée prison, mais l'oikèsis, l'habitation de cette "prison" (voir la note 7 à ma traduction de l'allégorie pour le double sens d'okèsis), c'est-à-dire plus probablement ce qui justifie ce nom de "prison", à savoir la situation d'immobilité et les chaînes qui retiennent les hommes dans l'"habitation en forme de caverne". Bref, comme je le suggérais déjà dans la note citée à l'instant, et à nouveau dans la seconde partie de la note 13, Platon s'intéresse moins à la matérialité du lieu de séjour des prisonniers ou de nous-mêmes, la caverne ou le monde visible, qu'à la situation dans laquelle nous sommes par rapport à cet environnement et à la perception que nous en avons. La question n'est pas tant de savoir si le monde qui nous entoure, si la caverne dans laquelle sont enchaînés les prisonniers, existe vraiment ou pas, mais de prendre conscience du caractère "sclérosant" pour nous de l'image que nous en donne notre sens de la vue, qui nous incite à "camper", à nous reposer, à nous "asseoir" sur elle, qui nous donne un sentiment fallacieux de "stabilité" et fait en fait de nous des "prisonniers" qui ne cherchent même plus loin que ce qu'ils perçoivent, croyant que c'est là le tout du réel. (<==)

(4) "La lumière du feu en elle" traduit le grec to tou puros en autèi phôs. Selon que l'on fait porter en autèi ("en elle", renvoyant à l'oikèsei, l'"habitation", dont il vient d'être question) sur to phôs (la lumière) ou sur tou puros (du feu), on peut voir là une indication que le feu est dans la caverne, pas seulement sa lumière ("la lumière du-feu-dans-la-caverne", plutôt que "la-lumière-du-feu dans la caverne"). Malheureusement, la flexibilité du grec dans l'ordonnacement des mots est telle que les deux interprétations sont possibles, comme en français. (<==)

(5) "Route ascendante " traduit le grec anodon, formé du préfixe ana-, "de bas en haut", et de hodos, "route, chemin". Anodos, c'est le chemin qui monte, ou la montée sur ce chemin. Ce terme est à mettre en regard de anabasis, "montée", utilisé pour parler de l'ascension du prisonnier dans l'allégorie, mot formé lui aussi du préfixe ana- et de basis, "marche", substantif issu du verbe bainein, "marcher".
On peut noter l'accumulation dans cette phrase de mots dans lesquels on retrouve ana, à commencer par l'adverbe qui en dérive, anô, "en haut" : tèn de anô anabasin kai thean tôn anô tèn eis ton noèton topon tès psuchès anodon. (<==)

(6) C'est bien à l'âme (psuchè) qu'il faut assimiler les prisonniers, et, puisqu'il s'agit pour elle d'une ascension vers le domaine intelligible, à la partie logikon de celle-ci, à l'âme raisonnable, au logos, comme je le suggérais dans la note 13 à ma traduction de l'allégorie. (<==)

(7) "Le domaine intelligible" traduit le grec ton noèton topon, formule qui a fait son apparition en 508c1 dans l'analogie du bien et du soleil, et qui se retrouve plusieurs fois ensuite, en opposition avec tôi horatôi (topôi)" (le visible), ou, comme en 516c1, tôi horômenôi topôi (le domaine vu). Sur l'emploi de topos dans ces formules, voir la note 48 à ma traduction de l'allégorie. (<==)

(8) "Espérance" traduit le grec elpidos, génitif de elpis, "attente, espoir". Socrate ne parle pas de son intention en composnat l'allégorie, ou de sa "pensée", comme traduisent Chambry (Budé), Baccou (Garnier) et Piettre (Nathan), mais bien de son "espérance", de son "espoir". Ce qu'il décrit, ce n'est pas ce qu'il sait, ce qu'il connait, voire ce qu'il pense, mais bien ce qu'il espère, l'"image" qu'il se fait d'une "réalité" qu'il cherche avec ses interlocuteurs à mieux apréhender et dont il espère qu'elle est aussi proche que possible de ce qui est véritablement, mais qui reste de l'ordre des hypothèses. Il n'est pas le maître omniscient qui transmet un savoir à des élèves, mais le chercheur infatigable qui propose une espérance à des compagnons de recherche... (<==)


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Première publication le 1er mai 2001 ; dernière mise à jour le 1er mai 2001
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