© 2001 Bernard SUZANNE | Dernière mise à jour le 13 avril 2023 |
Platon et ses dialogues :
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Dans les traductions que je propose ici d'extraits de La République,
comme dans toutes les traductions disponibles sur ce site, j'ai cherché,
plus que l'élégance, la fidélité au texte grec.
Chaque fois que possible, j'ai conservé l'ordre des mots grecs et
essayé
de traduire toutes les particules dont le grec est friand. J'ai aussi
essayé
de traduire, en particulier dans les réponses et dans les expressions
induites par le style indirect du dialogue (1),
la même expression grecque par la même expression française
chaque fois qu'elle revenait, au risque d'une monotonie qui est dans le
texte de Platon. (2)
Mais surtout, j'ai voulu donner au lecteur qui ne peut lire le texte grec original
de Platon le moyen de rester malgré tout aussi près que possible
de ce texte. C'est une des justifications des notes abondantes (plus ou moins
selon l'extrait et l'âge de la traduction) qui commentent le texte grec
traduit au delà de ce qu'il est possible de rendre par une traduction.
Platon est un auteur qui manie sa langue de manière absolument extraordinaire
et qui ne laisse le plus souvent rien au hasard dans ce qu'il écrit (et
ceci est particulièrement vrai dans un texte comme celui de l'allégorie
de la caverne, texte d'une densité redoutable). Il ne laisse rien au
hasard, certes, mais cela ne veut pas dire qu'il cherche la précision
« technique » dans son vocabulaire, bien au contraire !
Il veut donner à son lecteur, non pas des réponses toutes faites,
mais matière à penser. Et, pour cela, il n'hésite pas à
cultiver savamment l'ambiguïté, à choisir des mots à
sens muliples, à employer des tournures que l'on peut comprendre de plusieurs
manières. Or il est le plus souvent impossible de conserver ces ambiguïtés
dans une traduction, de rendre toutes les résonnances que pouvaient avoir
tel mot pour un grec de son temps par un seul mot français. Le seul moyen
donc de donner au lecteur qui ne lit pas le grec une idée de toutes ces
harmoniques du texte, et de ne pas lui imposer une interprétation à
l'exclusion d'autres, peut-être aussi voulues par Platon pour pousser
le lecteur à la réflexion, c'est de compléter la traduction
nécessairement réductrice par des notes qui ajoutent tout (ou
partie) de ce que la traduction retenue ne peut pas dire ou suggérer.
C'est ce que j'ai essayé de faire ici, en montrant au passage sur quelques
exemples comment certaines des traductions disponibles par ailleurs pouvaient
ici ou là trahir Platon sur des points qui sont parfois lourds de conséquences
pour la compréhension de ce qu'il cherche à nous suggérer.
Mais ces notes ne se limitent pas à aider le lecteur qui ne lit pas le
grec de Platon à approcher aussi près que possible du texte original.
Un certain nombre d'entre elles peuvent intéresser aussi le spécialiste,
familier de ces textes, du fait des commentaires autres que purement linguistiques
qu'elles proposent, dont certains, j'ose l'espérer, jettent un jour nouveau
sur des textes que l'on croyait connaître.
J'ai
eu à ma disposition dans ce travail les éditions et traductions
suivantes de tout ou partie de la République :
- Le
texte grec de la République, édité par John Burnet
dans le volume IV des « Platonis Opera » dans la
collection Oxford Classical Texts (OCT), Oxford, 1902
- Platon, La République, texte grec établi et traduit
en français par Émile Chambry, dans les œuvres complètes
de Platon publiées dans la collection Budé, Tomes VI
(livres I-III), VII-1
(livres IV-VII) et VII-2
(livres VIII-X), Les Belles Lettres, Paris, 1933 (L'allégorie
de la caverne est dans le Tome
VII, 1ère partie)
- Plato, Republic, Greek text with an English translation by Paul
Shorey, in 2 volumes, volumes
V (Republic, books I-V) and VI
(Republic, books VI-X) of Plato Works in twelve volumes, Loeb Classical
Library n° 237 et 276, Harvard University Press, London, 1935 (la traduction disponible en ligne sur le site Perseus)
- La
traduction en français de La République par Léon
Robin dans le volume I des œuvres complètes de Platon en 2 volumes
publiée
dans la collection La Pléiade, Paris, 1950
- Platon,
La République, traduction en français de Robert Baccou,
Classiques Garnier, reprise dans la collection GF Flammarion, n° 90, Paris,
1966
- The
Republic of Plato, translated into English with notes, an interpretive essay
and a new introduction by Allan Bloom, Basic Books, 1968
- Platon,
La République, Livres VI (depuis 504a) et VII, traduction en français
et commentaire par Monique Dixsaut, Les œuvres philosophiques, Bordas, Paris,
1980, 1986
- Platon,
La République, Livre VII, traduction en français, notes et
commentaires de Bernard Piettre, Les intégrales de Philo, Nathan, Paris,
1981
- Platon,
La République, traduction en français de Pierre Pachet,
Folio Essais n° 228, Paris, 1993
- Platon,
La République, traduction en français, introduction, notice
et notes de Jacques Cazeaux, Le livre de poche, Paris, 1995
- The
Republic, translated into English by G. M. A. Grube, revised by C. D. C.
Reeve, in Plato Complete Works, Edited by John M. Cooper, Hackett, Indianapolis/Cambridge,
1997
- Platon,
La République, livres VI et VII, traduction en français
de Tiphaine Karsenti et Yannis Prélorentzos, Analyse par Yannis Prélorentzos,
Classiques Hatier de la Philosophie, Paris, 2000
- Platon,
La République, traduction en français, introduction et
notes par Georges Leroux, GF Flammarion n° 653, Paris, 2002
- Platonis Rempublicam, texte grec édité par S. R. Slings dans un volume dédié de la
collection Oxford Classical Texts (OCT), Oxford, 2003
- Plato, Republic, Translated from the New Standard Greek Text, with Introduction, by C. D. C. Reeve, Hackett, Indianapolis/Cambridge, 2004
Dans toutes mes traductions, les références aux pages
de l'édition Estienne sont celles fournies par l'édition des Platonis
Opera, Oxford Classical Texts. Chaque référence constitue
un lien vers le texte correspondant sur le site Perseus où le texte grec est disponible : si ce n'est pas le texte grec qui s'affiche, mais la traduction en anglais (de Paul Shorey, voir ci-dessus), allez dans la zone « Greek » sur fond gris de la partie droite de la fenêtre et cliquez sur « focus » pour remplacer la traduction en anglais par le texte grec, ou sur « load » pour charger le texte grec juste en-dessous dans la colonne de droite en conservant la traduction en anglais là où elle est. Au bas de la colonne de droite, la zone « Display Preferences » vous permet de choisir, à la ligne « Greek Display », le mode d'affichage du texte grec en fonction des polices grecques dont vous disposez sur votre PC (si vous n'arrivez pas à afficher le grec en caractères grecs avec l'une des options proposées, utilisez l'option « Latin transliteration », qui affichera le grec avec des caractères de notre alphabet) puis cliquez sur le bouton « Update Preferences » au bas de la zone « Display Preferences » (avant de cliquer sur ce bouton, vous pouvez en profiter pour sélectionner « Original Language » dans la zone « View by Default » pour que, dans la suite, le grec s'affiche par défaut) ; une fois les préférences d'affichage mises à jour, allez dans la zone « Greek » au-dessus dans la même partie droite de la fenêtre et cliquez sur « focus » ou « load » pour rafficher le grec.
Si l'affichage n'est pas positionné sur la bonne référence, allez dans la partie gauche de la fenêtre, dans la section « Table of Contents » et choisissez le livre, puis la section dans le livre pour arriver à la bonne référence.
Les extraits traduits
(1) La République est un long monologue de Socrate racontant à un auditoire non identifié, après un court récit qui en situe le contexte, une longue discussion qu'il a eue la veille au Pirée (le port d'Athènes) dans la maison de Céphale (personnage historique, marchand d'armes d'origine Syracusaine et ami de Périclès, père de Polémarque et de l'orateur Lysias) avec Adimante et Glaucon, les deux frères de Platon, après un échange plus bref avec, tour à tour, Céphale, son fils Polémarque et Thrasymaque de Chalcédoine, en Thrace.(<==)
(2) Il n'est pas inutile de savoir que, du temps de Platon, tout le texte d'un ouvrage écrit était écrit en majuscules, sans esprits ni accents, sans signes de ponctuation et sans espacement entre les mots (toutes les lettres collées les unes aux autres pour économiser de la place sur des supports rares et couteux : voir un exemple sur une autre page de ce site). Et bien sûr, on ne faisait pas précéder chaque réplique du nom de l'interlocuteur, même dans les dialogues en style direct. Ces particules dont le grec est friand, les formules comme « dit-il » et « repris-je », et dans d'autres dialogues, les rappels fréquents du nom de l'interlocuteur à qui l'on s'adresse par une formule au vocatif précédeée dans le grec d'un ô, étaient des moyens d'aider le lecteur à s'y retrouver et de suppléer la ponctuation manquante. (<==)
(3) Cet ensemble
d'« analogies » prend place dans la République après
que Socrate ait énoncé le principe du « philosophe-roi » (République,
V, 473c11-e2) et expliqué la différence entre les philosophes
tels qu'il les conçoit et ceux qui passent pour philosophes aux yeux
de la foule, et au moment où il va entreprendre de décrire
la formation de ceux qui seront ainsi appelés à gouverner.
Leur formation, dit-il, doit suivre un « circuit plus long (makrotera
periodos) » (VI,
504b2 et c9)
qui ne sera pas complet s'il ne conduit pas jusqu'à la connaissance
de
« l'idée du bon (hè tou agathou idea) » (505a2) (*),
sans laquelle toutes les autres connaissances ne servent de rien (République,
VI, 505a-b). Ceci conduit Glaucon à interroger Socrate sur cette
« idée du bon » et Socrate à répondre
en enchaînant
les trois « analogies » dont il est ici question. Mais
si chacune « met en scène » le bon lui-même (auto to agathon ; 507a3) et son « idée » (ce qui en est accessible à notre intelligence humaine, compte tenu de ses limites), chacune le fait d'un point de vue différent, mais toujours en
les resituant par rapport au « tout » dont ils sont le principe ultime d'intelligibilité et la finalité. La première met l'accent sur
la « transcendance » du bon par rapport à tout
le reste, mais le fait en utilisant une image « matérielle »,
celle du soleil, alors que la seconde, qui s'intéresse à la
multiplicité
de ce tout que transcende le bon, le fait en usant d'une analogie
« idéelle », puisque mathématique, celle
de la ligne. Ainsi, chacune de ces deux analogies, dans sa « forme » même,
par le choix des termes de comparaison, tente de « tenir les deux
bouts »,
matière et forme, ordre visible et ordre intelligible.
Quant à la troisième analogie, qui, au contraire des deux premières,
introduit la dimension du temps et met l'homme au centre de l'histoire, l'homme
qui, de par son âme raisonnable, est justement intermédiaire
entre les deux ordres, visible et intelligible, elle met l'accent sur le
discernement, l'esprit « critique », dont il doit faire preuve et
sur le rôle
de l'éducation dans la formation de cet esprit critique. Et elle se
déploie
en deux temps, puisque Socrate propose d'abord l'allégorie dans la totalité
sans commentaires avant d'en faire un commentaire qui permettra d'enchaîner
sur le programme long d'éducation auquel tout cela servait de prélude.
On peut dire en quelque sorte que la première analogie essaye de donner
à nos « tripes », à nos epithumiai,
une « image » de la transcendance la plus haute en utilisant
un analogue matériel qui
puisse leur faire « chaud au ventre » et susciter leur
désir ;
que la seconde analogie essaye de donner à notre logos une « idée »
du tout qui inclue l'ordre sensible à l'aide d'une approche mathématique
pour lui éviter de se retirer dans un « monde » d'idées
pures ; et que la troisième analogie propose à notre libre-arbitre,
à notre thumos, un programme qu'il dépend de lui de réaliser
ou pas à l'aide d'une « histoire » qui le met
aux prises avec tous les ordres du « réel ».
(*) Pour les raisons qui me font traduire hè tou agathou idea par « l'idée du bon » plutôt que par le classique « l'idée du bien », on se reportera à la note 2 sur ma traduction de l'analogie du soleil.
On trouvera dans cette même note des explications sur la différence qu'il convient de faire entre auto to agathon (« le bon lui-même ») et hè tou agathou idea (« l'idée du bon »), que la plupart des spécialistes considèrent à tort comme synonymes. (<==)