© 2004 Bernard SUZANNE | Dernière mise à jour le 29 mars 2013 |
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(vers la section précédente : le commentaire de Socrate sur l'allégorie de la caverne)
[519d]
...
Par conséquent, dit-il, nous commettrons une injustice envers eux et
leur fabriquerons une vie misérable, à eux qui seraient capables
d'une meilleure.
[519e]
Tu as oublié, repris-je, encore une fois, l'ami, que, pour la loi, ce
n'est pas ça son souci, qu'une unique classe (2)
dans la cité soit heureuse (3)
en se distinguant [des autres] (4),
mais qu'elle parvienne par ses menées à faire (5)
que cela arrive dans toute la cité en suscitant l'harmonie entre les
citoyens par la persuasion aussi bien que par la nécessité, en
faisant qu'ils se donnent [520a]
les uns aux autres la part d'assistance par laquelle chacun est capable d'assister
la communauté et en formant elle-même de tels hommes, non pas pour
laisser chacun se diriger vers où il veut, mais pour qu'elle-même
profite pleinement d'eux en vue de la cohésion de la cité. (6)
Vrai, dit-il ; je l'avais oublié en effet.
Observe donc, dis-je, Glaucon, que nous ne commettrons pas non plus d'injustice
envers ceux qui chez nous deviennent philosophes, mais que nous dirons des choses
justes à leur égard en les contraignant à veiller sur les
autres et à les protéger. (7)
Nous dirons en effet que ceux d'un côté qui, dans les autres [520b]
cités, deviennent tels, c'est à juste titre qu'ils ne participent
pas aux peines dans celles-ci (8),
car c'est de leur propre mouvement qu'ils y prennent racine (9),
sans que ce soit la volonté du régime politique (10)
de chacune d'elles, et c'est justice que ce qui pousse effectivement de soi-même,
ne devant à personne sa nourriture (11),
ne paye pas même par le fait de faire preuve de bonne volonté (12)
ses frais de nourriture, alors que vous, c'est nous qui, pour vous-mêmes
aussi bien que pour le reste de la cité, comme dans des essaims, vous
avons façonnés (13)
dirigeants et rois, mieux éduqués et plus parfaitement que ceux-là,
et plus [520c]
capables d'avoir part aux deux. (14)
Il faut donc redescendre chacun à votre tour dans la demeure commune
des autres et vous habituer avec eux à examiner les choses obscures car,
habitués avec eux, vous verrez mille fois mieux que ceux de là-bas
et vous reconnaîtrez en chacune des images (15)
ce qu'elle est et de quoi [elle est image], pour avoir vu les [choses]
vraies sur des [choses] belles, justes et bonnes (16),
et ainsi c'est par des gens en état de veille que, par vous et par nous,
la cité sera administrée, et non pas comme en rêve, comme
c'est aujourd'hui le cas du plus grand nombre, qui sont administrées
par des gens qui se battent entre eux pour des ombres et sèment le trouble
en vue de prendre le pouvoir, (17)
[520d]
comme si c'était un grand bien. Mais le vrai, en quelque sorte, le voici :
une cité dans laquelle ce sont ceux qui sont le moins empressés
à gouverner (18)
qui doivent gouverner, celle-là est nécessairement administrée
au mieux et avec le moins de trouble, alors que celle que gouvernent des gens
contraires a le contraire.
Tout à fait d'accord, dit-il.
Refuseront-ils donc de se laisser convaincre (19)
par nous, penses-tu, ceux que nous avons nourris et élevés (20),
en entendant cela, et ne consentiront-ils pas à prendre leur part de
peines (21) dans la
cité chacun à son tour, tout en passant le plus clair de leur
temps les uns avec les autres dans le [lieu] pur ?
[520e]
Impossible, dit-il, car nous prescrirons en effet des choses justes à
des justes. Et il est tout ce qu'il y a de plus certain que c'est par nécessité
que chacun d'eux s'en ira gouverner, au contraire de ceux qui, à présent,
dans chaque cité, gouvernent.
Il en va bien ainsi, repris-je, camarade : si d'une part tu parviens à
trouver une vie [521a]
meilleure que de gouverner pour ceux qui doivent gouverner, s'offre à
toi la possibilité qu'une ville devienne bien administrée, car
c'est seulement dans celle-là que gouvernent ceux qui sont réellement
riches, non pas d'or, mais de ce dont celui qui est heureux doit être
riche, d'une vie bonne et pleine de raison ; (22)
si par contre des mendiants et des gens affamés de biens personnels s'en
viennent aux affaires publiques, pensant que c'est de là qu'il faut faire
main basse sur le bien, il n'en est rien, (23)
car le gouvernement devenant objet de combats, une telle guerre étant
domestique et intestine les perd eux-mêmes aussi bien que le reste de
la cité.
Très vrai, dit-il.
[521b]
As-tu donc, repris-je, quelque autre vie méprisant les pouvoirs politiques
en dehors de celle de la vraie philosophie ?
Non par Zeus, reprit-il.
Mais en tout cas il faut bien ne pas aller en amoureux du gouvernement vers
lui, car sinon, les amoureux rivaux se battront.
Comment non ?
Quels autres contraindras-tu donc à aller à la garde de la cité,
sinon ceux qui sont les plus sensés (24)
sur la manière d'administrer au mieux une cité, tenant en estime
d'autres choses et ayant une vie meilleure que la politique ?
Personne d'autre, dit-il.
(vers la section suivante : la formation du philosophe : l'arithmétique)
(1) Pour quelques commentaires sur l'esprit dans lequel j'ai fait cette traduction, voir l'introduction aux extraits traduits de La République. (<==)
(2) « Classe » traduit le terme grec genos dont le sens est très large et va de « race, famille » avec une idée de communauté d'origine à « caste, classe, corporation » avec une idée de préoccupations communes sans que s'y ajoutent nécessairement des liens familiaux, en passant par « genre, espèce » au sens scientifique du terme. (<==)
(3) « Soit heureuse » traduit le grec eu praxei, mot à mot, « agisse bien ». La formule eu prattein est une formule toute faite qu'on trouve par exemple comme formule de salutation au début des lettres attribuées à Platon. (<==)
(4) « En se distinguant [des autres] » traduit l'adverbe diapherontôs, dérivé du verbe diapherein, qui signifie « différer, être différent » et parfois plus spécifiquement « se distinguer de », c'est-à-dire « l'emporter sur, surpasser ». (<==)
(5) « Qu'elle parvienne par ses menées à faire » traduit le grec mèchanatai, subjonctif du verbe mèchanasthai, qui signifier « machiner, tramer », souvent en mauvaise part, ou encore « réaliser avec art », et qui dérive du mot mèchanè, « invention ingénieuse », c'est-à-dire « machine, machine de guerre, machine de théâtre », ou encore « moyen, expédient » (le français « machine » dérive de la forme dorienne de mèchanè, machana, via la latin machina). C'est donc un terme ambivalent qu'a choisi Socrate pour décrire l'action des lois. (<==)
(6) « En vue de la cohésion de la cité » traduit le grec epi ton sundesmon tès poleôs. Sundesmos est formé du préfixe sun- (« avec », qui évoque en composition une idée d'ensemble, de regroupement) et du mot desmos, qui signifie « lien, chaîne » et qui est utilisé en 514a5, au début de l'allégorie de la caverne, pour décrire la situation des prisonniers. Cet « attachement ensemble » qu'évoque le mot est mis en relation avec un terme qui désigne déjà collectivement le groupe qu'il s'agit de constituer, la polis, la cité, et non pas les citoyens. Socrate, par cette formule très concise, suggère ici que les lois ont pour souci (melei) de tirer le meilleur parti possible (katachrètai) de ceux des citoyens qui sont capable d'aller jusqu'au bout du processus éducatif dont l'allégorie de la caverne nous a donné l'image pour susciter un « attachement » réciproque entre tous les citoyens et faire de la cité, non pas le regroupement de prisonniers enchaînés chacun à sa place, regardant tous dans la même direction mais ne voyant les uns des autres que des ombres, mais un groupe de personnes « liées » les unes aux autres pour progresser ensemble vers le bien commun, chacun mettant ses dons au service de tous. (<==)
(7) Les deux verbes qui décrivent les actions attendues des philosophes à l'égard du reste des citoyens sont epimeleisthai et phulattein. Le premier de ces deux verbe, epimeleisthai, étymologiquement « se faire du souci sur », est souvent employé dans le registre administratif : le nom epimelètès qui en dérive désigne divers fonctionnaires qui sont chargés de « veiller sur », de « s'occuper de », quelque chose, c'est-à-dire qui en sont responsables, des « administrateurs », des « gouverneurs », des « commissaires », des « intendants » aux responsabilités diverses. Quant au verbe phulattein, il nous renvoie aux phulakes, ces « gardiens » dont il a été abondamment question dans les livres précédents de la République et qui représentent la « classe » intermédiaire de la cité décrite par Socrate, désignés par un terme qui met bien en valeur le rôle positif que Socrate attend de ce groupe qu'on assimile généralement aux « militaires » : ils sont là pour protéger la cité, pas pour mener des guerres de conquête. (<==)
(8) On retrouve ici presque mot à mot la même expression qu'en 519d5-6, où Socrate parlait de ceux qui ne voulaient pas redescendre dans la caverne pour metechein tôn par' ekeinois ponôn (« participer aux peines de chez eux »). Ici, il parle de gens qui, dans les autres cités, ou metechousi tôn en autais ponôn (« ne participent pas aux peines dans celles-ci). Sur ces expressions, voir la note 83 à ma traduction de la section précédente. On peut ajouter aux remarques qui y sont faites que, maintenant que se précise le rôle que l'on attend de ceux qui ont pu suivre jusqu'au bout la formation dont l'allégorie de la caverne est l'image, on peut donner au mot ponoi un sens plus précis : il ne désigne pas seulement les misères de toute vie humaine, mais plus spécifiquement tous les travaux pénibles, toutes les « corvées » qu'implique la vie en société, que l'on fait, ou devrait faire, pour le bien de tous au prix du sacrifice d'une partie de sa propre tranquillité et de son propre plaisir, y compris celles qui paraissent enviables à beaucoup du fait des honneurs et des avantages qui les accompagnent souvent, savoir, les tâches nécessaires au gouvernement de la cité, vues par les « philosophoi » comme des corvées par rapport aux activités qui ont leur faveur. (<==)
(9) « C'est de leur propre mouvement qu'ils y prennent racine » traduit le grec automatoi emphuontai. Le verbe emphuein, dont le sens premier est « naître/croître dans » évoque bien l'idée d'enracinement et de quelque chose qui pousse. L'adjectif automatos qui précède, à la racine du français « automate », ajoute l'idée de quelque chose qui pousse tout seul. Bref, on n'est plus près de l'idée du chiendent ou de quelque mauvaise herbe de même sorte que de l'image d'une éducation raisonnée de jeunes gens doués. (<==)
(10) « Régime politique » traduit le grec politeia (qui est le nom du dialogue, traduit en français via le latin de Cicéron par République) qui désigne en particulier la constitution politique d'une cité (polis). Socrate dit ici que les « philosophes » qui « poussent tout seul » dans ces cités le font akousès tès politeias. L'adjectif akôn, dont akousès est le génitif féminin singulier (épithète de politeias), contraction de a-ekôn, est le contraire de ekôn, qui signifie « volontaire, délibéré, de plein gré ».Socrate ne veut pas dire que ces philosophes le sont devenus en violation de la loi et de la constitution de la cité, mais plus simplement que cette constitution n'avait pas prévu une telle éducation et que ce n'est donc pas par sa volonté que ces philosophes ont « poussé » dans la cité (ce qui veut dire au passage que rien ne garantit qu'ils aient poussé convenablement). (<==)
(11) Le terme que j'ai traduit par « nourriture », trophè, signifie bien « nourriture » au sens premier, mais peut de là en venir à désigner l'éducation dans son ensemble. Mais dans cette phrase où il est question de gens qui emphuontai, qui « prennent racine de leur propre mouvement », et que Socrate désigne maintenant par un neutre singulier pour le moins péjoratif, to autophues, « ce qui pousse de soi-même », de gens qui « poussent tous seuls » dans des cité qui n'ont justement pas le souci de prendre à leur charge l'éducation de leurs enfants, « nourriture » est un terme plus approprié qu'« éducation » pour rendre en français le terme qui décrit ce que reçoivent ces jeunes laissés à eux-mêmes et dont on va ensuite évoquer le coût et la manière de le « monnayer ». Il y a une certaine dose de mépris dans les paroles de Socrate à leur égard qui perce sous le choix de son vocabulaire.(<==)
(12) La monnaie de retour que l'on pourrait au minimum attendre de gens qui ont été éduqués par la cité (ce qui n'est justement pas le cas de ceux dont il est ici question), c'est, selon ce que dit ici Socrate, de prothumeisthai, « faire preuve de bonne volonté, d'ardeur, d'empressement » pour metechein tôn ponôn, avoir leur part dans les tracas, les soucis, les corvées qu'implique la vie en société dans la cité. Dans ce verbe prothumesthai, on retrouve la racine thumos, le nom qu'utilise le Socrate de Platon pour désigner la partie médiane de l'âme. Le rôle d'une éducation bien comprise est de disposer le thumos à écouter la voix de la raison, le logos, qui lui dicte en particulier de prendre sa part dans la gestion de la cité à proportion de ses capacités, c'est-à-dire de faire preuve de prothumia, de « bonne volonté », de « zèle » dans cette entreprise qui conditionne aussi la qualité de sa propre vie dans la cité. (<==)
(13) « Nous... avons façonnés » traduit le grec egennèsamen, aoriste du verbe gennan, qui signifie « engendrer, enfanter » au propre et au figuré. On peut rapprocher ce verbe de l'adjectif apparenté gennaios, qui signifie « de bonne naissance, de race noble », pour remarquer le changement de vocabulaire de Socrate : ici, il n'est plus question de gens qui poussent tous seuls, comme du chiendent, mais de gens bien nés et bien éduqués. Mais, dans la mesure où ceux qui sont supposés parler ne sont pas les parents, les géniteurs, de ceux à qui ils s'adressent, mais les législateurs de la cité, l'accent n'est pas sur la « naissance », mais sur l'éducation capable de faire porter des fruits à quiconque est doué d'une bonne nature quelle que soit sa naissance. C'est la raison pour laquelle j'ai préféré traduire egennèsamen par un verbe français qui ne mette pas l'accent sur la dimension « biologique », au risque de forcer le sens analogique. (<==)
(14) Amphoterôn metechein : « avoir part aux deux ». Socrate ne dit pas explicitement aux deux quoi, et il faut remonter à la fin de l'explication de l'allégorie de la caverne, en 519c-d, pour voir opposés l'ascension vers le bien et le retour dans la caverne pour metechein tôn par' ekeinois ponôn te kai timôn (« participer aux peines de chez eux, et aussi aux honneurs »), en d'autres termes avoir part à la fois à la recherche philosophique et à la vie politique. (<==)
(15) Sur le mot eidôla, traduit par « images », et déjà utilisé en 516a7 pour parler de ce que commencera par contempler le prisonnier sorti de la caverne, voir la note 44 à ma traduction de l'allégorie de la caverne. On remarquera à ce propos que ce terme n'est pas réservé aux ombres sur le mur de la caverne, puisque son seul emploi dans l'allégorie elle-même concerne des choses vues une fois sorti de la caverne, plus spécifiquement les « images » ou « reflets » dans l'eau d'êtres humains et autres. (<==)
(16) Ce dont parle ici Socrate, ce n'est pas du beau, du juste et du bien, qui serait to kalon, to dikaion, to agathon, mais de talèthè [contraction de ta alèthè, accusatif neutre pluriel de l'adjectif alèthès, « vrai »] kalôn te kai dikaiôn kai agathôn peri, c'est-à-dire une formulation où l'on trouve des adjectifs neutres pluriels sans article, qui renvoient donc à une pluralité de « choses » (ou tout autre terme très générique sous-entendu) possédant ces qualités. Et il ne dit pas non plus que ceux dont il parle ont contemplé la vérité sur des « idées » ou sur autre choses, mais utilise là aussi un neutre pluriel : ils ont contemplé « les [choses] vraies » sur des choses qui sont belles, justes, bonnes. On ne saute pas sans transition de quelques « idées » prises dans leur plus grande abstraction intemporelle à leurs applications à notre monde matériel en devenir. La multiplicité et la « participation » ont aussi leur place à l'extérieur de la caverne. Et pour être de quelque utilité une fois de retour dans la caverne, ceux qui ont pu en sortir ne doivent oublier aucun des niveaux intermédiaires qu'ils ont contemplé. Il est plus utile pour la vie ici-bas d'avoir vu comment des réalités de là-haut « participent » au beau, au juste, au bon pour tenter de comprendre comment les réalités inférieures d'ici peuvent aussi y participer que de s'être contenté d'avoir contemplé sans transitions le bien dans sa splendide isolation et de se croire capable ensuite de le décliner directement dans notre monde. En d'autres termes, ce n'est pas seulement la fin ultime du parcours éducatif qui est importante, mais tout le parcours et tout ce que nous rencontrons au long de ce parcours, toutes les médiations qui permettent de gravir les échelons et donc ensuite de les faire gravir à d'autres. Pour le dire dans les termes de l'ascension décrite dans le Banquet, il s'agit bien au final de saisir l'idée du beau dans sa plus grande généralité, mais, dans notre monde, ce qui importe, ce sont les belles actions, les belles lois, les beaux principes de vie plus que le beau lui-même. (<==)
(17) Les deux verbes qu'utilise Socrate pour caractériser les dirigeants de la plupart des cités d'alors sont skiamachein et stasiazein. Le premier, que j'ai traduit par « se battre pour des ombres », est formé de skia, « ombre », le mot qui a servi en 515a7 à désigner ce que voyaient les prisonnier de la caverne sur la paroi en face d'eux, et du verbe machesthai, « combattre ». Le second, que j'ai traduit par « semer le trouble », est formé sur le nom stasis dans son sens de « discorde, dissension, faction », que Socrate définit en V, 470b4-9 comme le conflit entre suggenes (« de même parenté, de même race ») ou oikeioi (« de même maison, de même famille »), c'est-à-dire entre concitoyens ou gens de même race (Socrate précise dans la réplique suivante que pour lui, ceci regroupe les grecs par opposition aux barbares), par opposition au polemos, la guerre, qui est un conflit entre « étrangers » (othneioi). Dans le cas qui nous occupe, il s'agit des combats que se livrent entre eux les candidats dirigeants dans une même cité pour essayer de s'accaparer le pouvoir, et qui peuvent à l'occasion aller jusqu'à la guerre civile. (<==)
(18) « Empressés à gouverner » traduit le grec prothumoi archein. On retrouve ici la prothumia, cette disposition du thumos, la partie médiane de l'âme, dont Socrate déplorait l'absence chez les « philosophes » qui poussent tout seuls dans les cités qui font fi de l'éducation de leurs enfants lorsqu'il s'agissait de prendre sa part des « corvées » qu'impose la vie en société (cf. note 12). Ce que veut nous dire ici Socrate, c'est que ce n'est pas le thumos qui doit pousser l'homme à briguer le pouvoir, ce thumos dont le rôle est de se soumettre au logos, à la raison qui seule peut diriger l'âme de manière sensée, mais bien la raison qui doit l'amener à comprendre qu'il est de son intérêt d'assumer sa part de « peines » au service de la communauté selon ses compétences et que le premier indice révélant que quelqu'un a compris ce qu'était le gouvernement de la cité, c'est justement de le considérer comme une charge, une « corvée », à laquelle on se résout contraint et forcé, et non pas comme un objet de désir. (<==)
(19) « Refuseront-ils de se laisser convaincre » traduit le grec apeithèsousin, troisième personne du pluriel du futur du verbe apeithein, formé par adjonction d'un a- privatif au verbe peithein, qui veut dire « persuader, convaincre ». Apeithein, c'est donc « ne pas se laisser convaincre », et par suite « désobéir », ou encore « dédaigner ». (<==)
(20) « Ceux que nous avons nourris et élevés » : je traduis par cette périphrase le grec hoi trophimoi, adjectif substantivé dérivé de trophè, mot que nous avons déjà rencontré (cf. note 11) et dont le sens premier est « nourriture », mais qui, par extension, signifie « éducation ». Au sens littéral, hoi trophimoi, c'est donc « les nourris » (par « nous », les éducateurs qui sont censés parler ici). Mais il est clair que, dans l'esprit de Socrate, il ne s'est pas agi à l'égard de ceux qu'il désigne ainsi que de nourriture. (<==)
(21) « Prendre leur par des peines » traduit le grec sumponein, dans lequel on retrouve les ponoi dont il a été question plus haut (cf. note 8). (<==)
(22) « Pleine de raison » traduit le grec emphrôn, adjectif construit sur la racine phrèn. Sur ce terme et les mots apparentés, voir la notice sur phronèsis au début de ma traduction de la section 86d-96d du Ménon. (<==)
(23) En grec, les deux parties de la phrase, introduites respectivement par ei men et ei de (« si d'une part... », « si par contre... »), s'articulent chacune autour du même verbe principal, esti soi dans la première partie, ouk esti dans la seconde, mot à mot « il est pout toi [possible de]... », « il n'est pas [sous-entendu: possible de...] », que j'ai rendu la première fois par « s'offre à toi (la possibilité qu'une ville devienne bien administrée) » et la seconde par « il n'en est rien », c'est-à-dire la possibilité qu'une ville devienne bien administrée « ne s'offre pas (ouk esti) » à toi, mot à mot « n'est pas, n'existe pas ». (<==)
(24) « Les plus sensés » traduit le grec phronimôtatoi, superlatif de l'adjectif phronimos, construit sur la même racine que emphrôn que nous avons rencontré un peu plus haut (cf. note 22). (<==)